ARIPA - Les articles de Nuances classés par thèmes - Artistes ARIPA - Réexamens critiques de restaurations de peintures, à partir des dossiers scientifiques des musées de France, études sur les techniques picturales anciennes, analyses et propositions sur la déontologie, les théories et les pratiques de la restauration. http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/56-artistes.feed 2024-04-28T22:12:53Z Joomla! 1.5 - Open Source Content Management Chardin et le regard sec de notre époque 2011-03-14T12:02:48Z 2011-03-14T12:02:48Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/56-artistes/167-chardin-et-le-regard-sec-de-notre-epoque.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;"> Nuances 23 (2000/1) – pp. 3-6</span></span></span></p> <h2>Chardin : le triomphe de l’œil<br />et le regard sec de notre époque</h2> <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;">par Paul PFISTER, restaurateur au Kunsthaus de Zurich</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/chardin-autoportrait.jpg" alt="Chardin - Autoportrait dit à l'abat-jour" style="cursor: default; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 11px; float: left; margin-top: 0px; margin-right: 20px; margin-bottom: 5px; margin-left: 0px; border-width: 0px; padding: 0px;" /></p> <p><i><br /></i></p> <p><i><br /></i></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;L’auteur repère quelles restaurations fautives, qu’elles soient anciennes ou récentes, ont dénaturé des oeuvres de Chardin, ce qui explique les incohérences de qualité entre ses peintures venant de divers musées et des collections privées lorsqu'elles se sont trouvées réunies à l'occasion de la rétrospective de 1999 au Grand Palais.</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comprendre ce qu’elles ont ainsi perdu est une justice à rendre à ce maître.<br />&nbsp;&nbsp;&nbsp;C’est aussi une nécessité pour que les restaurateurs à l’avenir ne choisissent pas pour modèles des oeuvres ainsi falsifiées, mais prennent comme références ses tableaux<br />les mieux préservés.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<a href="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/PDF/chardin-pfister-nuances23.pdf" title="Chardin et le regard sec de notre époque" target="_blank">Lire l'article en PDF</a></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;"> Nuances 23 (2000/1) – pp. 3-6</span></span></span></p> <h2>Chardin : le triomphe de l’œil<br />et le regard sec de notre époque</h2> <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;">par Paul PFISTER, restaurateur au Kunsthaus de Zurich</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/chardin-autoportrait.jpg" alt="Chardin - Autoportrait dit à l'abat-jour" style="cursor: default; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 11px; float: left; margin-top: 0px; margin-right: 20px; margin-bottom: 5px; margin-left: 0px; border-width: 0px; padding: 0px;" /></p> <p><i><br /></i></p> <p><i><br /></i></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;L’auteur repère quelles restaurations fautives, qu’elles soient anciennes ou récentes, ont dénaturé des oeuvres de Chardin, ce qui explique les incohérences de qualité entre ses peintures venant de divers musées et des collections privées lorsqu'elles se sont trouvées réunies à l'occasion de la rétrospective de 1999 au Grand Palais.</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;Comprendre ce qu’elles ont ainsi perdu est une justice à rendre à ce maître.<br />&nbsp;&nbsp;&nbsp;C’est aussi une nécessité pour que les restaurateurs à l’avenir ne choisissent pas pour modèles des oeuvres ainsi falsifiées, mais prennent comme références ses tableaux<br />les mieux préservés.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;<a href="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/PDF/chardin-pfister-nuances23.pdf" title="Chardin et le regard sec de notre époque" target="_blank">Lire l'article en PDF</a></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> Constable et la question des patines 2011-12-09T16:51:49Z 2011-12-09T16:51:49Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/56-artistes/82-constable-et-la-question-des-patines.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;"> Nuances 35 (2005) - pp. 10-13</span></span></span></p> <h2>Constable et la question des patines</h2> <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;"> par Jean-Max TOUBEAU</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/constable-autoportrait.jpg" alt="Constable - Autoportrait de 1806" style="cursor: default; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 11px; float: left; margin-top: 0px; margin-right: 20px; margin-bottom: 5px; margin-left: 0px; border-width: 0px; padding: 0px;" /></p> <p><i><br /></i></p> <p><i><br /></i></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;<em>Militant pour une peinture claire, Constable s’est opposé au goût de son époque, séduite par les tableaux bruns et les fausses patines. Mais n’en concluons pas qu’il approuverait pour autant les décapages complets si fréquents aujourd’hui, lui qui espérait pour ses oeuvres </em>«&nbsp;le bénéfice de la patine du temps&nbsp;».</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; L’exposition <em>Constable, le choix de Lucian Freud</em>,au Grand Palais en 2002, et le livre de Charles Robert Leslie, <em>John Constable</em>, (publié par les éditions de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts), m’ont servi de point de départ pour tenter de saisir la pensée de Constable au sein des débats de son temps. Ces débats touchaient aux questions de l’enseignement d’après les maîtres, des copies, des effets du vieillissement des peintures, et, plus largement, des rapports entre modernité et tradition.<br />&nbsp;&nbsp; La question de la nature et du degré des patines est très présente dans ces controverses, et conduit naturellement à une réflexion sur les pratiques de restauration de cette époque, et par conséquent de la nôtre.</p> <h3>Le goût de l’époque pour les tableaux bruns</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Le peintre américain C. R. Leslie, en écrivant la biographie de son ami Constable,<br />cite beaucoup d’extraits de ses lettres. La correspondance de Constable est des plus abondantes et de très nombreux passages témoignent de ce qu’était l’air du temps,<br />le courant de pensée dominant, dans le monde élégant des amateurs d’art et des collectionneurs, tel Sir George Beaumont (<em>«&nbsp;arbitre du goût dans le grand monde »</em>,<br />dit Leslie).</p> <p>&nbsp;&nbsp; Sir George, peintre lui-même, fut pendant une trentaine d’années un fidèle ami de Constable. Il fut aussi un soutien financier, et Constable, qui découvrit chez lui avec enthousiasme, dans sa jeunesse, des œuvres de Claude Lorrain, partagea d’abord<br />son goût. Un bon goût qui exigeait des palettes limitées aux tons bruns et dorés,<br />et des tonalités sombres. Mais Constable ne tarda pas à refuser l’idée qu’un peintre de paysages ne pouvait s’inspirer que de Claude Lorrain, de Gaspar Poussin (Gaspard Dughet, beau-frère de Poussin, alors préféré à ce dernier), ou de Rembrandt, Rubens et quelques autres Flamands. Il avoue dans une lettre à John Dunthorne du 29 mai 1802, que jusqu’ici, il n’a cessé de «&nbsp;<em>courir après les tableaux à la recherche d’une vérité de</em> <em>seconde main</em> ». Il refuse désormais de se plier aux règles de l’art quand elles ne sont qu’artifices et conventions. Conventions entretenues par les marchands, qui allaient jusqu’à patiner artificiellement les tableaux, rajoutant à plaisir vernis teintés, glacis marron, décoctions diverses, parfois à base de thé, de bitume, de tabac... Le 8 avril 1835, Constable écrivait à un de ses amis :</p> <p><em>&nbsp;&nbsp; «&nbsp;Mon tableau est arrivé à un superbe état : j’ai conservé la lumière du Dieu tout puissant, dont jouit l’humanité tout entière, à la seule exception des amoureux de vieilles toiles crasseuses, de tableaux avortés à vingt-cinq mille francs pièce, de cambouis, de goudron et de résidus de chandelles</em> (pp. 208-209)&nbsp;».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Le “jus musée” était alors l’emblème de la distinction. Constable lutta, sa vie durant, contre ce conformisme tout puissant et intransigeant.</p> <h3>Les tableaux anciens sont “choses à éviter” !</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Il écrit dans une lettre à Leslie du 2 avril 1833 (p. 190) :<br />«&nbsp;<em>M. L. m’a fait une longue visite, mais mes tableaux ne cadrent pas avec ses formules ou ses fantaisies d’art,&nbsp;et il m’a dit que je m’étais “égaré”. Je lui ai répondu que j’avais peut-être d’autres notions d’art que celles qu’ont en général les admirateurs de tableaux; que je considérais en général les tableaux comme choses à éviter, et que les connaisseurs les considéraient comme choses à imiter; et cela avec une telle déférence et une telle humilité dans la soumission, aboutissant à une prostration totale de l’esprit et du sentiment original, que le résultat ne peut être que de remplir le monde d’avortements. </em>[...] <em>Quelle chose lamentable que cet art admirable soit tellement poussé à sa propre destruction. On ne s’en sert que pour rendre nos yeux aveugles, et pour nous empêcher de voir le soleil resplendir, la campagne s’épanouir, les arbres fleurir, et d’entendre le bruissement du feuillage; pendant que les vieilles toiles noires, effacées et sales prennent la place des ouvrages mêmes de Dieu </em>».<br />&nbsp;&nbsp; Ce qui lui faisait parfois perdre patience, comme le jour où il donna une conférence durant laquelle il dit son mépris des tableaux de Berghem, représentant d’un style de paysage bâtard (moitié hollandais et moitié italien), vulgaire et «&nbsp;<em>couleur brun renard</em> ».<br />&nbsp;&nbsp; A la sortie, un collectionneur qu’il venait de convaincre lui dit qu’il pensait désormais à vendre ses Berghem : «&nbsp;<em>Non, Monsieur, cela ne ferait que perpétuer le mal, brûlez-les</em>», répondit Constable.</p> <p>&nbsp;&nbsp; On ne peut comprendre, plus tard, le fameux cri du jeune Cézanne («&nbsp;<em>Il faut brûler<br />le Louvre</em>&nbsp;») que provoqué par une exaspération analogue, à l’égard de ceux qui,<br />en France aussi, ne voyaient chez les maîtres anciens que la justification de leurs préjugés contre toute peinture claire, fût-elle nourrie de la quintessence de la tradition («&nbsp;<em>faire du Poussin sur nature », «&nbsp;faire quelque chose de solide comme l’art des musées</em> », dira plus tard Cézanne). C’est la tradition dégradée en manière, c’est le maniérisme que Cézanne refusait, comme firent tant de maîtres, dont Constable.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Et son goût original et militant ne plaisait pas à tous. Leslie explique (page 191) que «&nbsp;<em>Constable se fit souvent du tort en essayant de convertir les gens </em>[...]<em> Ses idées d’art ne faisaient que lui gagner la réputation d’un débitant de paradoxes. Une offense au goût ne se pardonne jamais, et non seulement il perdait son temps, mais il se fit trop souvent des ennemis.</em>&nbsp;»</p> <h3>Les teintes et les lumières naturelles</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Quant à ses amis, certains n’hésitaient pas à lui donner des leçons.<br />Sir George Beaumont eut pour Constable une amitié très sincère. Il l’invitait à séjourner dans son château de Coleorton, dans le Leicestershire, mais il n’appréciait pas vraiment sa peinture, qu’il ne collectionna jamais. Il lui demandait plutôt de copier ou de restaurer des oeuvres de sa collection.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Leslie note que «&nbsp;<em>c’est une chose curieuse, que pendant tout le cours de ses rapports avec Constable, Sir George prétendit au rôle de professeur</em> ».&nbsp;Constable ne lui en tenait pas rigueur. Il affirma même à Wordsworth, en 1836 : «&nbsp;<em>Je sens que je lui dois ce que je suis en tant qu’artiste</em> ». Mais il ne se laissait pas intimider.<br />&nbsp;&nbsp; Leslie en témoigne (p. 114) : «&nbsp;<em>Chacun était disposé à persuader l’autre. Sir George plaçait un petit tableau de Gaspar Poussin sur son chevalet, à côté d’un tableau qu’il était en train de faire, en disant : “Maintenant, si je peux égaler ces tons, je suis sûr d’avoir raison.” – “Mais supposez, Sir George, répondait Constable, que Gaspar puisse sortir de son tombeau, pensez-vous qu’il reconnaîtrait son tableau dans l’état où il est présentement ? Ou, s’il le reconnaissait, n’aurions- nous pas de la difficulté à le persuader que quelqu’un n’en a pas enduit la surface de goudron ou de cambouis, qu’il a ensuite imparfaitement essuyé ?” À un autre moment, Sir George recommandait la couleur d’un ancien violon de Crémone comme ton dominant de toutes choses, et à cela Constable répondit en posant un vieux violon sur la pelouse verte devant la maison.<br />Une autre fois encore, Sir George, qui semblait considérer les teintes d’automne comme nécessaires, pour une certaine partie au moins d’un paysage, dit&nbsp;: “Est-ce que vous ne trouvez pas très difficile de trouver où placer votre arbre brun ?” – “Non, pas le moins du monde, je ne mets jamais rien de ce genre dans un tableau”, fut la réponse&nbsp;».</em></p> <h3>Constable, victime des fausses patines</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Le sculpteur Chantrey osait, lui, joindre le geste à la parole, pour faire la leçon à Constable. Leslie raconte une scène amusante (p. 159) devant le tableau le <em>Château<br />de Hadleig</em>, un jour de vernissage à l’Académie (jour où les peintres pouvaient faire d’ultimes retouches) :</p> <p>&nbsp;&nbsp; «&nbsp;<em>Chantrey dit à Constable que son premier plan était trop froid, et lui prenant la palette des mains, il passa un fort glacis d’asphalte sur toute cette partie du tableau ; pendant que ceci se passait, Constable, qui se tenait derrière lui en proie à quelque inquiétude, me dit : “Voilà toute ma rosée qui s’en va”. Il tenait en grand respect le jugement de Chantrey en la plupart des matières, mais cela ne l’empêcha pas d’enlever soigneusement du tableau tout ce que le grand sculpteur y avait ajouté.</em> »</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/ConstableInauguration.gif" width="624" height="252" alt="ConstableInauguration" /></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il ne put faire de même lorsque son tableau, l'<em>Inauguration du pont de Waterloo</em><br />(fig. 1) fut encrassé selon le goût du jour : «&nbsp;<em>Qu’aurait-il ressenti, écrit Leslie, s’il avait pu prévoir qu’un peu plus d’une année après sa mort, cet éclat argenté serait condamné<br />à se couvrir de nuages grâce à une couche de noir déposée par la main d’un marchand de tableaux. Cependant, que ceci ait été fait par manière de donner du ton au tableau,<br />je le sais de la meilleure autorité, le tenant de la bouche même de l’opérateur, qui m’assura gravement que plusieurs personnes de la noblesse l’avaient considéré comme très amélioré par ce traitement. Le noir fut étendu avec de l’eau, et fixé par une couche de vernis au mastic</em> (p. 197). »</p> <h3>Etudier (et copier) sans confondre conception des maîtres et maniérisme</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Sans cesse dans ses écrits, Constable répète que c’est la nature qu’il faut copier,<br />plutôt que les tableaux : «&nbsp;<em>Quelles étaient les habitudes de Claude Lorrain et des deux Poussin ?&nbsp;Quoiqu’entourés de palais remplis de tableaux, ils firent des champs leur principal lieu d’étude</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Reynolds a été pour Constable une référence constante (il annota de sa main son exemplaire des Oeuvres de Sir Joshua). Il approuvait certainement ce passage du <em>Deuxième Discours</em> prononcé à la Royal Academy le 11 décembre 1769 : <br />&nbsp;&nbsp; «&nbsp;<em>Copier des tableaux tout entiers est à mes yeux le plus trompeur des exercices. Le jeune artiste [...] tombe dans l’habitude dangereuse de copier sans choisir et d’opérer sans but. Comme cela ne demande aucun effort d’esprit, il s’endort sur son ouvrage. [...] Il faut aussi que je vous avertisse que les anciens tableaux justement célébrés pour leur coloris, sont souvent très changés par la crasse et par le vernis, en sorte qu’il ne faut pas s’étonner si les peintres sans expérience et les jeunes élèves les trouvent inférieurs à leur réputation. Un artiste dont le jugement est mûri par de longues observations, considère plutôt ce que le tableau a été, que ce qu’il est à présent. [...] Une exacte imitation de ces ouvrages risque par conséquent d’emplir l’esprit de l’élève d’opinions fausses, de faire de lui un coloriste à la mode, non moins éloigné des idées de la nature que des règles de l’art, aussi étranger à la pratique des maîtres qu’à l’aspect réel des objets</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Mais Reynolds explique aussitôt ce qu’est le véritable enseignement à tirer de l’exemple des maîtres anciens : «&nbsp;<em>Cependant, comme l’usage de copier n’est pas tout à fait à rejeter, puisque la partie mécanique de l’art est apprise en partie par là, ne vous attachez du moins qu’à ces parties de choix qui recommandent l’ouvrage à la célébrité. [...] Si sa beauté consiste dans l’effet de l’ensemble, il sera bon de faire de légères esquisses de la machinerie et de l’économie générale. Au lieu de copier les touches de ces grands maîtres, ne copiez que leurs conceptions »</em></p> <p><em>&nbsp;&nbsp; «&nbsp;Je me suis efforcé de tirer une ligne entre l’art vrai et le maniérisme, mais les plus grands peintres même n’ont jamais été complètement purs de manière</em> » a dit Constable dans sa quatrième conférence, le 16 juin 1836 à Londres.<br />&nbsp;&nbsp; Leslie retrouva dans des notes destinées à la préparation de ces conférences le passage suivant : «&nbsp;<em>Le maniérisme séduit toujours. C’est plus ou moins une imitation de ce qui a déjà été fait, par conséquent toujours plausible. Il diminue la longueur du chemin et coupe au plus court vers la renommée et les émoluments, en nous faisant profiter des travaux des autres</em> ». Leslie se souvient aussi d’avoir entendu dire par son ami : «&nbsp;<em>Quoi qu’on puisse penser&nbsp;de mon art, il est mien ; et j’aimerais mieux posséder une maison à moi, fut-ce une chaumière, que d’habiter un palais qui serait à un autre</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Les conventions académiques vers 1800 n’exigeaient pas seulement des couleurs brunes et des tons foncés, elles imposaient aussi le “fini”, exécution habile de détails innombrables sur toute la toile. Les plus grandes réussites de Constable sont peut-être dans les moments où il domine ces contraintes (en prend et en laisse) plutôt qu’il ne s’en affranchit totalement. Mais son besoin de repères autres que ces normes intériorisées dans sa jeunesse le conduisit à rêver longtemps à l’étrange utopie d’une peinture scientifique : «&nbsp;<em>La peinture est une science et doit être poursuivie comme une enquête dans les lois de la nature</em> » ajoutait-il à la remarque qu’aucun maître n’est jamais complètement pur de “manière”.</p> <h3>Le bénéfice de la patine – l’authenticité</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Mais vers la fin de sa vie, Constable souhaite que le public remarque «&nbsp;<em>la richesse de<br />la texture et l’attention portée à la surface des objets</em> » dans ses tableaux. L’idée très novatrice de “fidélité à la peinture” rivalise dans son esprit avec celle de toujours,<br />la “fidélité à la nature”. «&nbsp;<em>Après tout, il existe un domaine qui s’appelle l’art</em> », disait-il<br />un jour à Leslie. Il rêve alors d’une sorte de musée personnel, offrant une rétrospective de ses oeuvres préférées, «&nbsp;<em>car seraient ainsi mises en valeur leur diversité de conception et aussi d’exécution, et le bénéfice de la patine du temps, qui ne devrait jamais être forcée ni accélérée</em> », note-t-il dans sa correspondance (tome 4, p. 129, éd. R. B. Beckett, 1966).</p> <p>&nbsp;&nbsp; Et il évoquait dans sa dernière conférence l’absurdité du maniérisme, qui fabrique du neuf ancien : «&nbsp;<em>Il en est ainsi dans tous les beaux-arts. Un édifice gothique neuf, ou un missel manuscrit neuf ne sont en réalité guère moins absurdes qu’une “ruine neuve”</em><br />(p. 281) ». La restauration fait une erreur symétrique de celle opérée par le maniérisme (qui donne aux tableaux neufs un faux aspect d’ancienneté), lorsqu’elle enlève aux tableaux anciens les traces de leur vétusté. C’est exactement la position de John Ruskin face à la restauration et la base de son principe d’authenticité : que le neuf soit neuf,<br />et que l’ancien reste ancien.<br />&nbsp;&nbsp; Ainsi Constable admirait-il sans doute la patine authentique d’un tableau de Watteau que Leslie copia un jour. Il lui écrivit à propos de cette copie : «&nbsp;<em>Votre Watteau faisait un effet plus froid que l’original </em>», et il lui conseille d’essayer&nbsp;de se rapprocher du Watteau, «&nbsp;<em>qui semble avoir été peint avec du miel ; si fondu,&nbsp;si tendre, si moelleux et si délicieux </em>(p. 173) ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; On peut remarquer pour conclure que Constable ne demandait pas que l’on amende par des dévernissages les toiles anciennes. Lui-même ne parle que de «&nbsp;<em>boucher quelques trous</em> » quand Sir George lui demande de restaurer un tableau (p. 113). Il souhaitait seulement que l’on sache voir. Quand il reprend une de ses propres oeuvres déjà sèche, il sait fort bien, comme tous les peintres, qu’aucun retour à un état antérieur n’est possible, et qu’il ne peut qu’aller de l’avant, content quand son tableau «&nbsp;<em>semble avoir extrêmement gagné à être huilé, retouché, poli, gratté, etc. </em>(p. 214)&nbsp;».</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/ConstableRoute2.gif" width="624" height="249" alt="ConstableRoute2" /></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ne rien surajouter (manie de son temps), ne pas trop soustraire non plus (tentation<br />du nôtre). Telle est la leçon de sagesse qui aurait pu sauver un chef-d’oeuvre de Constable comme la <em>Route de l’auberge</em> de 1822 (Fig. 2) du musée de Philadelphie. Cette peinture détonnait beaucoup au milieu des autres (le plus souvent sagement conservées) à l’exposition du Grand Palais. Misérablement dépouillée de tout lien entre ses parties, autre que celui de la préparation mise à nu, elle est devenu de l’ancien tout neuf. Mauvais goût que Constable lui-même avait en son temps combattu, sous l’espèce du pastiche maniériste.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Jean-Max Toubeau</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Fig. 1. <em>L’Inauguration du pont de Waterloo</em> « <em>Whitehall Stairs, June 18th 1817&nbsp;</em>» (exposé en 1832)&nbsp;John Constable -&nbsp;huile sur toile, 130,8 x 218 cm - Tate Britain © Tate Photography</p> <p>Fig. 2. <em>Road to the Spaniards Inn, Hampstead</em>&nbsp;(1822)&nbsp;John Constable - huile sur papier marouflé sur toile, 30,8 x 51,1 cm -&nbsp;Philadelphia Museum of Art © DR</p> <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;"> Nuances 35 (2005) - pp. 10-13</span></span></span></p> <h2>Constable et la question des patines</h2> <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;"> par Jean-Max TOUBEAU</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/constable-autoportrait.jpg" alt="Constable - Autoportrait de 1806" style="cursor: default; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 11px; float: left; margin-top: 0px; margin-right: 20px; margin-bottom: 5px; margin-left: 0px; border-width: 0px; padding: 0px;" /></p> <p><i><br /></i></p> <p><i><br /></i></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp;<em>Militant pour une peinture claire, Constable s’est opposé au goût de son époque, séduite par les tableaux bruns et les fausses patines. Mais n’en concluons pas qu’il approuverait pour autant les décapages complets si fréquents aujourd’hui, lui qui espérait pour ses oeuvres </em>«&nbsp;le bénéfice de la patine du temps&nbsp;».</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; L’exposition <em>Constable, le choix de Lucian Freud</em>,au Grand Palais en 2002, et le livre de Charles Robert Leslie, <em>John Constable</em>, (publié par les éditions de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts), m’ont servi de point de départ pour tenter de saisir la pensée de Constable au sein des débats de son temps. Ces débats touchaient aux questions de l’enseignement d’après les maîtres, des copies, des effets du vieillissement des peintures, et, plus largement, des rapports entre modernité et tradition.<br />&nbsp;&nbsp; La question de la nature et du degré des patines est très présente dans ces controverses, et conduit naturellement à une réflexion sur les pratiques de restauration de cette époque, et par conséquent de la nôtre.</p> <h3>Le goût de l’époque pour les tableaux bruns</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Le peintre américain C. R. Leslie, en écrivant la biographie de son ami Constable,<br />cite beaucoup d’extraits de ses lettres. La correspondance de Constable est des plus abondantes et de très nombreux passages témoignent de ce qu’était l’air du temps,<br />le courant de pensée dominant, dans le monde élégant des amateurs d’art et des collectionneurs, tel Sir George Beaumont (<em>«&nbsp;arbitre du goût dans le grand monde »</em>,<br />dit Leslie).</p> <p>&nbsp;&nbsp; Sir George, peintre lui-même, fut pendant une trentaine d’années un fidèle ami de Constable. Il fut aussi un soutien financier, et Constable, qui découvrit chez lui avec enthousiasme, dans sa jeunesse, des œuvres de Claude Lorrain, partagea d’abord<br />son goût. Un bon goût qui exigeait des palettes limitées aux tons bruns et dorés,<br />et des tonalités sombres. Mais Constable ne tarda pas à refuser l’idée qu’un peintre de paysages ne pouvait s’inspirer que de Claude Lorrain, de Gaspar Poussin (Gaspard Dughet, beau-frère de Poussin, alors préféré à ce dernier), ou de Rembrandt, Rubens et quelques autres Flamands. Il avoue dans une lettre à John Dunthorne du 29 mai 1802, que jusqu’ici, il n’a cessé de «&nbsp;<em>courir après les tableaux à la recherche d’une vérité de</em> <em>seconde main</em> ». Il refuse désormais de se plier aux règles de l’art quand elles ne sont qu’artifices et conventions. Conventions entretenues par les marchands, qui allaient jusqu’à patiner artificiellement les tableaux, rajoutant à plaisir vernis teintés, glacis marron, décoctions diverses, parfois à base de thé, de bitume, de tabac... Le 8 avril 1835, Constable écrivait à un de ses amis :</p> <p><em>&nbsp;&nbsp; «&nbsp;Mon tableau est arrivé à un superbe état : j’ai conservé la lumière du Dieu tout puissant, dont jouit l’humanité tout entière, à la seule exception des amoureux de vieilles toiles crasseuses, de tableaux avortés à vingt-cinq mille francs pièce, de cambouis, de goudron et de résidus de chandelles</em> (pp. 208-209)&nbsp;».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Le “jus musée” était alors l’emblème de la distinction. Constable lutta, sa vie durant, contre ce conformisme tout puissant et intransigeant.</p> <h3>Les tableaux anciens sont “choses à éviter” !</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Il écrit dans une lettre à Leslie du 2 avril 1833 (p. 190) :<br />«&nbsp;<em>M. L. m’a fait une longue visite, mais mes tableaux ne cadrent pas avec ses formules ou ses fantaisies d’art,&nbsp;et il m’a dit que je m’étais “égaré”. Je lui ai répondu que j’avais peut-être d’autres notions d’art que celles qu’ont en général les admirateurs de tableaux; que je considérais en général les tableaux comme choses à éviter, et que les connaisseurs les considéraient comme choses à imiter; et cela avec une telle déférence et une telle humilité dans la soumission, aboutissant à une prostration totale de l’esprit et du sentiment original, que le résultat ne peut être que de remplir le monde d’avortements. </em>[...] <em>Quelle chose lamentable que cet art admirable soit tellement poussé à sa propre destruction. On ne s’en sert que pour rendre nos yeux aveugles, et pour nous empêcher de voir le soleil resplendir, la campagne s’épanouir, les arbres fleurir, et d’entendre le bruissement du feuillage; pendant que les vieilles toiles noires, effacées et sales prennent la place des ouvrages mêmes de Dieu </em>».<br />&nbsp;&nbsp; Ce qui lui faisait parfois perdre patience, comme le jour où il donna une conférence durant laquelle il dit son mépris des tableaux de Berghem, représentant d’un style de paysage bâtard (moitié hollandais et moitié italien), vulgaire et «&nbsp;<em>couleur brun renard</em> ».<br />&nbsp;&nbsp; A la sortie, un collectionneur qu’il venait de convaincre lui dit qu’il pensait désormais à vendre ses Berghem : «&nbsp;<em>Non, Monsieur, cela ne ferait que perpétuer le mal, brûlez-les</em>», répondit Constable.</p> <p>&nbsp;&nbsp; On ne peut comprendre, plus tard, le fameux cri du jeune Cézanne («&nbsp;<em>Il faut brûler<br />le Louvre</em>&nbsp;») que provoqué par une exaspération analogue, à l’égard de ceux qui,<br />en France aussi, ne voyaient chez les maîtres anciens que la justification de leurs préjugés contre toute peinture claire, fût-elle nourrie de la quintessence de la tradition («&nbsp;<em>faire du Poussin sur nature », «&nbsp;faire quelque chose de solide comme l’art des musées</em> », dira plus tard Cézanne). C’est la tradition dégradée en manière, c’est le maniérisme que Cézanne refusait, comme firent tant de maîtres, dont Constable.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Et son goût original et militant ne plaisait pas à tous. Leslie explique (page 191) que «&nbsp;<em>Constable se fit souvent du tort en essayant de convertir les gens </em>[...]<em> Ses idées d’art ne faisaient que lui gagner la réputation d’un débitant de paradoxes. Une offense au goût ne se pardonne jamais, et non seulement il perdait son temps, mais il se fit trop souvent des ennemis.</em>&nbsp;»</p> <h3>Les teintes et les lumières naturelles</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Quant à ses amis, certains n’hésitaient pas à lui donner des leçons.<br />Sir George Beaumont eut pour Constable une amitié très sincère. Il l’invitait à séjourner dans son château de Coleorton, dans le Leicestershire, mais il n’appréciait pas vraiment sa peinture, qu’il ne collectionna jamais. Il lui demandait plutôt de copier ou de restaurer des oeuvres de sa collection.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Leslie note que «&nbsp;<em>c’est une chose curieuse, que pendant tout le cours de ses rapports avec Constable, Sir George prétendit au rôle de professeur</em> ».&nbsp;Constable ne lui en tenait pas rigueur. Il affirma même à Wordsworth, en 1836 : «&nbsp;<em>Je sens que je lui dois ce que je suis en tant qu’artiste</em> ». Mais il ne se laissait pas intimider.<br />&nbsp;&nbsp; Leslie en témoigne (p. 114) : «&nbsp;<em>Chacun était disposé à persuader l’autre. Sir George plaçait un petit tableau de Gaspar Poussin sur son chevalet, à côté d’un tableau qu’il était en train de faire, en disant : “Maintenant, si je peux égaler ces tons, je suis sûr d’avoir raison.” – “Mais supposez, Sir George, répondait Constable, que Gaspar puisse sortir de son tombeau, pensez-vous qu’il reconnaîtrait son tableau dans l’état où il est présentement ? Ou, s’il le reconnaissait, n’aurions- nous pas de la difficulté à le persuader que quelqu’un n’en a pas enduit la surface de goudron ou de cambouis, qu’il a ensuite imparfaitement essuyé ?” À un autre moment, Sir George recommandait la couleur d’un ancien violon de Crémone comme ton dominant de toutes choses, et à cela Constable répondit en posant un vieux violon sur la pelouse verte devant la maison.<br />Une autre fois encore, Sir George, qui semblait considérer les teintes d’automne comme nécessaires, pour une certaine partie au moins d’un paysage, dit&nbsp;: “Est-ce que vous ne trouvez pas très difficile de trouver où placer votre arbre brun ?” – “Non, pas le moins du monde, je ne mets jamais rien de ce genre dans un tableau”, fut la réponse&nbsp;».</em></p> <h3>Constable, victime des fausses patines</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Le sculpteur Chantrey osait, lui, joindre le geste à la parole, pour faire la leçon à Constable. Leslie raconte une scène amusante (p. 159) devant le tableau le <em>Château<br />de Hadleig</em>, un jour de vernissage à l’Académie (jour où les peintres pouvaient faire d’ultimes retouches) :</p> <p>&nbsp;&nbsp; «&nbsp;<em>Chantrey dit à Constable que son premier plan était trop froid, et lui prenant la palette des mains, il passa un fort glacis d’asphalte sur toute cette partie du tableau ; pendant que ceci se passait, Constable, qui se tenait derrière lui en proie à quelque inquiétude, me dit : “Voilà toute ma rosée qui s’en va”. Il tenait en grand respect le jugement de Chantrey en la plupart des matières, mais cela ne l’empêcha pas d’enlever soigneusement du tableau tout ce que le grand sculpteur y avait ajouté.</em> »</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/ConstableInauguration.gif" width="624" height="252" alt="ConstableInauguration" /></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il ne put faire de même lorsque son tableau, l'<em>Inauguration du pont de Waterloo</em><br />(fig. 1) fut encrassé selon le goût du jour : «&nbsp;<em>Qu’aurait-il ressenti, écrit Leslie, s’il avait pu prévoir qu’un peu plus d’une année après sa mort, cet éclat argenté serait condamné<br />à se couvrir de nuages grâce à une couche de noir déposée par la main d’un marchand de tableaux. Cependant, que ceci ait été fait par manière de donner du ton au tableau,<br />je le sais de la meilleure autorité, le tenant de la bouche même de l’opérateur, qui m’assura gravement que plusieurs personnes de la noblesse l’avaient considéré comme très amélioré par ce traitement. Le noir fut étendu avec de l’eau, et fixé par une couche de vernis au mastic</em> (p. 197). »</p> <h3>Etudier (et copier) sans confondre conception des maîtres et maniérisme</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Sans cesse dans ses écrits, Constable répète que c’est la nature qu’il faut copier,<br />plutôt que les tableaux : «&nbsp;<em>Quelles étaient les habitudes de Claude Lorrain et des deux Poussin ?&nbsp;Quoiqu’entourés de palais remplis de tableaux, ils firent des champs leur principal lieu d’étude</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Reynolds a été pour Constable une référence constante (il annota de sa main son exemplaire des Oeuvres de Sir Joshua). Il approuvait certainement ce passage du <em>Deuxième Discours</em> prononcé à la Royal Academy le 11 décembre 1769 : <br />&nbsp;&nbsp; «&nbsp;<em>Copier des tableaux tout entiers est à mes yeux le plus trompeur des exercices. Le jeune artiste [...] tombe dans l’habitude dangereuse de copier sans choisir et d’opérer sans but. Comme cela ne demande aucun effort d’esprit, il s’endort sur son ouvrage. [...] Il faut aussi que je vous avertisse que les anciens tableaux justement célébrés pour leur coloris, sont souvent très changés par la crasse et par le vernis, en sorte qu’il ne faut pas s’étonner si les peintres sans expérience et les jeunes élèves les trouvent inférieurs à leur réputation. Un artiste dont le jugement est mûri par de longues observations, considère plutôt ce que le tableau a été, que ce qu’il est à présent. [...] Une exacte imitation de ces ouvrages risque par conséquent d’emplir l’esprit de l’élève d’opinions fausses, de faire de lui un coloriste à la mode, non moins éloigné des idées de la nature que des règles de l’art, aussi étranger à la pratique des maîtres qu’à l’aspect réel des objets</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Mais Reynolds explique aussitôt ce qu’est le véritable enseignement à tirer de l’exemple des maîtres anciens : «&nbsp;<em>Cependant, comme l’usage de copier n’est pas tout à fait à rejeter, puisque la partie mécanique de l’art est apprise en partie par là, ne vous attachez du moins qu’à ces parties de choix qui recommandent l’ouvrage à la célébrité. [...] Si sa beauté consiste dans l’effet de l’ensemble, il sera bon de faire de légères esquisses de la machinerie et de l’économie générale. Au lieu de copier les touches de ces grands maîtres, ne copiez que leurs conceptions »</em></p> <p><em>&nbsp;&nbsp; «&nbsp;Je me suis efforcé de tirer une ligne entre l’art vrai et le maniérisme, mais les plus grands peintres même n’ont jamais été complètement purs de manière</em> » a dit Constable dans sa quatrième conférence, le 16 juin 1836 à Londres.<br />&nbsp;&nbsp; Leslie retrouva dans des notes destinées à la préparation de ces conférences le passage suivant : «&nbsp;<em>Le maniérisme séduit toujours. C’est plus ou moins une imitation de ce qui a déjà été fait, par conséquent toujours plausible. Il diminue la longueur du chemin et coupe au plus court vers la renommée et les émoluments, en nous faisant profiter des travaux des autres</em> ». Leslie se souvient aussi d’avoir entendu dire par son ami : «&nbsp;<em>Quoi qu’on puisse penser&nbsp;de mon art, il est mien ; et j’aimerais mieux posséder une maison à moi, fut-ce une chaumière, que d’habiter un palais qui serait à un autre</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Les conventions académiques vers 1800 n’exigeaient pas seulement des couleurs brunes et des tons foncés, elles imposaient aussi le “fini”, exécution habile de détails innombrables sur toute la toile. Les plus grandes réussites de Constable sont peut-être dans les moments où il domine ces contraintes (en prend et en laisse) plutôt qu’il ne s’en affranchit totalement. Mais son besoin de repères autres que ces normes intériorisées dans sa jeunesse le conduisit à rêver longtemps à l’étrange utopie d’une peinture scientifique : «&nbsp;<em>La peinture est une science et doit être poursuivie comme une enquête dans les lois de la nature</em> » ajoutait-il à la remarque qu’aucun maître n’est jamais complètement pur de “manière”.</p> <h3>Le bénéfice de la patine – l’authenticité</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Mais vers la fin de sa vie, Constable souhaite que le public remarque «&nbsp;<em>la richesse de<br />la texture et l’attention portée à la surface des objets</em> » dans ses tableaux. L’idée très novatrice de “fidélité à la peinture” rivalise dans son esprit avec celle de toujours,<br />la “fidélité à la nature”. «&nbsp;<em>Après tout, il existe un domaine qui s’appelle l’art</em> », disait-il<br />un jour à Leslie. Il rêve alors d’une sorte de musée personnel, offrant une rétrospective de ses oeuvres préférées, «&nbsp;<em>car seraient ainsi mises en valeur leur diversité de conception et aussi d’exécution, et le bénéfice de la patine du temps, qui ne devrait jamais être forcée ni accélérée</em> », note-t-il dans sa correspondance (tome 4, p. 129, éd. R. B. Beckett, 1966).</p> <p>&nbsp;&nbsp; Et il évoquait dans sa dernière conférence l’absurdité du maniérisme, qui fabrique du neuf ancien : «&nbsp;<em>Il en est ainsi dans tous les beaux-arts. Un édifice gothique neuf, ou un missel manuscrit neuf ne sont en réalité guère moins absurdes qu’une “ruine neuve”</em><br />(p. 281) ». La restauration fait une erreur symétrique de celle opérée par le maniérisme (qui donne aux tableaux neufs un faux aspect d’ancienneté), lorsqu’elle enlève aux tableaux anciens les traces de leur vétusté. C’est exactement la position de John Ruskin face à la restauration et la base de son principe d’authenticité : que le neuf soit neuf,<br />et que l’ancien reste ancien.<br />&nbsp;&nbsp; Ainsi Constable admirait-il sans doute la patine authentique d’un tableau de Watteau que Leslie copia un jour. Il lui écrivit à propos de cette copie : «&nbsp;<em>Votre Watteau faisait un effet plus froid que l’original </em>», et il lui conseille d’essayer&nbsp;de se rapprocher du Watteau, «&nbsp;<em>qui semble avoir été peint avec du miel ; si fondu,&nbsp;si tendre, si moelleux et si délicieux </em>(p. 173) ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; On peut remarquer pour conclure que Constable ne demandait pas que l’on amende par des dévernissages les toiles anciennes. Lui-même ne parle que de «&nbsp;<em>boucher quelques trous</em> » quand Sir George lui demande de restaurer un tableau (p. 113). Il souhaitait seulement que l’on sache voir. Quand il reprend une de ses propres oeuvres déjà sèche, il sait fort bien, comme tous les peintres, qu’aucun retour à un état antérieur n’est possible, et qu’il ne peut qu’aller de l’avant, content quand son tableau «&nbsp;<em>semble avoir extrêmement gagné à être huilé, retouché, poli, gratté, etc. </em>(p. 214)&nbsp;».</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/ConstableRoute2.gif" width="624" height="249" alt="ConstableRoute2" /></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ne rien surajouter (manie de son temps), ne pas trop soustraire non plus (tentation<br />du nôtre). Telle est la leçon de sagesse qui aurait pu sauver un chef-d’oeuvre de Constable comme la <em>Route de l’auberge</em> de 1822 (Fig. 2) du musée de Philadelphie. Cette peinture détonnait beaucoup au milieu des autres (le plus souvent sagement conservées) à l’exposition du Grand Palais. Misérablement dépouillée de tout lien entre ses parties, autre que celui de la préparation mise à nu, elle est devenu de l’ancien tout neuf. Mauvais goût que Constable lui-même avait en son temps combattu, sous l’espèce du pastiche maniériste.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Jean-Max Toubeau</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Fig. 1. <em>L’Inauguration du pont de Waterloo</em> « <em>Whitehall Stairs, June 18th 1817&nbsp;</em>» (exposé en 1832)&nbsp;John Constable -&nbsp;huile sur toile, 130,8 x 218 cm - Tate Britain © Tate Photography</p> <p>Fig. 2. <em>Road to the Spaniards Inn, Hampstead</em>&nbsp;(1822)&nbsp;John Constable - huile sur papier marouflé sur toile, 30,8 x 51,1 cm -&nbsp;Philadelphia Museum of Art © DR</p> Ingres et la patine grise 2011-12-09T16:51:49Z 2011-12-09T16:51:49Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/56-artistes/119-la-patine-grise-dingres.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Nuances 36-37 (2006) - pp. 38-40</span></span></span></p> <h2>La patine grise d'Ingres</h2> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> par Paul PFISTER</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/ingres-55.jpg" alt="Ingres - Autoportrait à 55 ans" style="cursor: default; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 11px; float: left; margin-top: 0px; margin-right: 20px; margin-bottom: 5px; margin-left: 0px; border-width: 0px; padding: 0px;" /></p> <p><i><br /></i></p> <p><i><br /></i></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp; <p>&nbsp;&nbsp;C’est avec satisfaction que les amateurs d’art ont constaté un renouvellement dans l’approche des œuvres d’Ingres depuis la dernière rétrospective française,<br />en 1967 au Petit Palais. L’exposition présentée par les galeries nationales de Londres et de Washington en 1999 et 2000, limitée aux portraits, donnait encore du maître l’image peut-être trop uniquement virtuose et plaisante d’un peintre de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie<br />de son temps.</p> <p>&nbsp;&nbsp;L’un des grands mérites de la rétrospective du Louvre (24 février - 15 mai 2006), conçue par Vincent Pomarède et ses érudits collaborateurs, est d’avoir donné accès à l’abondance et à la richesse de cette oeuvre extraordinaire qui constitue en quelque sorte, comme le dit le catalogue, un lien entre les grands maîtres du XVIe siècle et l’époque de Picasso et Matisse. Même si Ingres écrivait dans ses pensées, en 1821, comme s’il avait voulu nous en convaincre, « <em>je suis donc un conservateur des bonnes doctrines, et non un novateur </em>», le visiteur de l’exposition a pu constater à quel point son expression a été inventive, innovante et d’une richesse extrême en comparaison avec l’œuvre d’autres maîtres de son temps. Ingres apparaît désormais comme l’un des peintres les plus importants de l’histoire.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Il serait superflu d’expliquer quel soin extraordinaire ce maître du raffinement absolu et de l’esthétique apportait à ses oeuvres, depuis les dessins préparatoires et les études à l’huile jusqu’aux tableaux définitifs. Tout cela, l’exposition et son catalogue l’ont mis, aussi bien qu’il était possible, en évidence. Reste surtout à se demander si les tableaux, dans leur état actuel de conservation, correspondent encore, de près ou de loin, aux intentions de l’artiste. Lorsqu’on regarde les peintures et que l’on se penche sur les reproductions du catalogue – d’ailleurs sans faille – il saute aux yeux qu’elles présentent des états si divergents qu’il est impossible de ne pas se poser de questions.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Sans vouloir être exhaustif, considérons déjà le <em>Torse d’homme</em>, antérieur à 1800,<br />du musée Ingres à Montauban (Cat. N° 1). Il possède une tonalité grise, d’un ton plus fort que celui d’une patine naturelle produite par le temps..</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">La patine grise d'Ingres</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp;Des constats similaires faits sur de nombreux tableaux d’Ingres m’ont conduit à conclure que ce type de patine grise avait été posé par l’artiste lui-même.<br />Je sais combien cette idée peut être déroutante pour la conception que nous nous faisons aujourd’hui de la peinture. Néanmoins il ne s’agit pas d’une vue théorique.<br />L’observation attentive de portraits, tel celui de <em>Delphine Ingres-Ramel </em>peint en 1859, dans la collection Oskar Reinhart de Winterthur dont je suis le restaurateur, montre qu’il existe un très léger voile gris, distribué en particulier sur les carnations de manière très subtile (fig.1).</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Ingresfemmedetail.gif" width="624" height="441" alt="Ingresfemmedetail" /></p> <p>&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;On retrouve déjà ce phénomène sur sa <em>Baigneuse de Valpinçon</em>, du musée du Louvre, peinte en 1808. Ce magistral nu de dos n'est pas modelé par un dégradé de tons opaques peints en pleine pâte, comme on pourrait le supposer. Les subtiles variations<br />du volume sont obtenues par un gris semi-transparent posé sur un fond général de ton chair claire. Ce gris forme les ombres, bien sûr, mais, étonnement, il voile aussi les parties en pleine lumière, telle l'épaule montrée dans ce détail (fig. 2).<br />Nous voyons que ce voile gris a été quelque peu malmené par des nettoyages, abrasé, déplacé dans les creux de la structure. Il est même presque supprimé sur une petite zone rectangulaire du haut de l'épaule, laissant un aplat vide.</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/IngresEpauledetail.gif" width="624" height="425" alt="IngresEpauledetail" /></p> <p>&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;La même chose se manifeste dès les premiers portraits avec le <em>Portrait d’homme à<br />la boucle d’oreille</em>, de 1804, qui appartient aussi au musée de Montauban (Cat. N° 26).<br />Tout en étant nettoyé, le tableau conserve une forte patine gris-brun, incrustée dans<br />la couche picturale, qui soutient le modelé du visage. Surtout évidente sur le col de la chemise “blanche”, elle joue exactement le rôle inverse d’un contraste, contribuant au contraire à l’harmonisation générale du tableau. Ici, la structure des coups de brosse a été inopportunément mise en valeur par le nettoyage, ce qui ne correspond en rien à l’intention de l’artiste. Mais chacun peut aisément s’imaginer le résultat qu’aurait produit un nettoyage plus poussé : le modelé aurait disparu, le visage aurait été rendu encore plus plat et la chemise, devenue toute blanche, aurait produit un contraste aigu luttant contre le reste du tableau. Bref,on aurait un Ingres de plus, semblable à ceux que les musées ont l’habitude de proposer.</p> <p><em>&nbsp;&nbsp;Virgile lisant l’Énéide devant Auguste et Livie </em>(1819, intitulé aussi <em>Tu Marcellus eris&nbsp;</em>) qui appartient aux musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles (Cat. N°37) est un exemple de tableau dans lequel la patine artificielle gris-brun d’Ingres est encore conservée. Evidemment, dira-t-on, puisqu’il s’agit là d’une scène de relative pénombre… Mais <em>Roger délivrant Angélique&nbsp;</em>(Cat. N° 44) du musée du Louvre, qui date de la même année, représente, lui aussi, une scène nocturne. Et néanmoins, on s’est efforcé<br />de réduire le plus possible ce gris-brun, avec pour résultat une couche picturale inégalement blessée, des craquelures causées par les solvants et, par ailleurs, l’apparence d’un tableau tout plat, manquant de modulation dans les volumes et<br />les chairs.</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/IngreOedipe.gif" width="624" height="345" alt="IngreOedipe" /></p> <p>&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;Il serait aussi édifiant de comparer l’<em>Œdipe et le Sphinx</em>, qui est au Louvre (fig. 3), avec la version de1864, à la Walters Gallery de Baltimore, deux scènes situées en grande partie dans la semi-obscurité d’une grotte. La version de Baltimore montre à présent la scène projetée en plein jour par un nettoyage encore plus poussé que sur la version du Louvre.Et que dire des portraits, surtout féminins, qu’on a décrassés de façon trop intense, comme, parmi beaucoup d’autres, celui de <em>Madame Moitessier debout </em>(1851, National Gallery de Washington, Cat. N° 160), ou de <em>Madame Rivière</em>, au Louvre, dans lesquels des portions d’étoffes et de chair ont perdu leur modelé du fait de la réduction de leur patine grise. Heureusement,dans la plupart des tableaux qui ont été ainsi traités, il reste, par endroits, de petits témoins de cette patine ingresque.</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Les tonalités grises et la photographie</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp;La peinture d’Ingres était-elle vraiment grise ? On n’a jamais pris au sérieux les témoignages écrits parce qu’on n’y a vu que des appréciations ironiques. Mais il est bien connu que la qualité de l’ironie réside en ceci qu’elle est une vérité drapée de drôlerie. D’Amaury Duval, nous connaissons ces deux phrases : « <em>On trouva dans l’anagramme du nom Ingres les mots: en gris. Dès lors, M. Ingres a fait gris, le gris était sa couleur de prédilection, il faisait communier ses élèves avec du gris. </em>» - « <em>Il est connu que la peinture de M. Ingres est grise. – Ouvrez l’œil, nation nigaude, et dites si vous vîtes jamais de la peinture plus éclatante et plus voyante, et même une plus grande recherche de tons ? </em>»</p> <p>&nbsp;&nbsp;De Robert de la Sizeranne, nous avons celle-ci :« <em>C’est encore pourquoi les deux seules couleurs qu’il recommandât à ses élèves étaient le “gris laqueux” pour les demi-teintes, et le brun rouge, dont il disait : “C’est une couleur tombée du ciel !”&nbsp;</em>»</p> <p>&nbsp;&nbsp;Mais les nations, au lieu simplement d’ouvrir l’œil (Amaury Duval n’en demandait pas davantage), ont cherché où pouvaient bien se trouver ces couleurs éclatantes et voyantes. Afin de ne plus passer pour « <em>nigaudes </em>», elle sont cru trouver la solution en effaçant les patines originales d’Ingres.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Dans <em>De l’art et</em><em> du beau</em>, le maître écrit pourtant : « <em>Les chefs-d’œuvre ne sont pas faits pour éblouir. Ils sont faits pour persuader, pour convaincre, pour entrer en nous par les pores&nbsp;</em>». Mais nous, les descendants, nous voulons tout faire pour éblouir par nos nettoyages inadaptés, à l’inverse de la conception et des intentions de l’artiste.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Il me paraît justifié, à propos de la patine grise et artificielle d’Ingres, de faire<br />la réflexion suivante. Ce maître, sensible aux événements de son époque, avait reconnu sans difficulté les capacités de la photographie,tout en craignant qu’elle ne concurrençât injustement les aquafortistes. L’un des mérites évidents de la photographie tenait à la richesse de ces nuances de tonalités grises, par lesquelles elle transposait la réalité sans utiliser aucune couleur. Par la suite, il y eut des peintres qui s’opposèrent,<br />par leur genre d’expression, à cette capacité, purement technique, de la photographie,<br />et d’autres, comme Ingres justement, qui enrichirent leur vision artistique en adoptant les possibilités de la gamme grise et parvinrent à surpasser de beaucoup la simple apparence technique.</p> <p>&nbsp;&nbsp;A l’avenir, il serait éminemment souhaitable que l’on se donne d’abord la peine<br />de mener des recherches sur ce gris ingresque avant de décider d’éliminer de la saleté grise.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;Reste à faire une observation, d’ordre muséologique. On a investi – si mal ! –<br />de fortes sommes d’argent pour que les tableaux “en jettent” – ce qui, pour Ingres,<br />est un contresens. Mais comment traitons-nous les dessins du maître ? Sont-ils si négligeables et dénués de valeur qu’ils ne méritent pas de perdre une seule seconde pour leur porter le minimum de soin que leur conservation réclame ? Comment<br />peut-on présenter des oeuvres de musées dans des états de conservation si négligés,<br />si dégradés, en décomposition même ? Peut-être a-t-on la noble intention de prouver<br />au spectateur que la qualité esthétique des dessins d’Ingres importe moins que l’incomparable beauté de la nature, qui se manifeste sous forme de taches produites par une grande variété de moisissures, de décolorations, de papiers jaunis par des colles douteuses et des composants acides, ou d’autres choses encore…</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Paul Pfister</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Nuances 36-37 (2006) - pp. 38-40</span></span></span></p> <h2>La patine grise d'Ingres</h2> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> par Paul PFISTER</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/ingres-55.jpg" alt="Ingres - Autoportrait à 55 ans" style="cursor: default; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 11px; float: left; margin-top: 0px; margin-right: 20px; margin-bottom: 5px; margin-left: 0px; border-width: 0px; padding: 0px;" /></p> <p><i><br /></i></p> <p><i><br /></i></p> <p>&nbsp;&nbsp;&nbsp; <p>&nbsp;&nbsp;C’est avec satisfaction que les amateurs d’art ont constaté un renouvellement dans l’approche des œuvres d’Ingres depuis la dernière rétrospective française,<br />en 1967 au Petit Palais. L’exposition présentée par les galeries nationales de Londres et de Washington en 1999 et 2000, limitée aux portraits, donnait encore du maître l’image peut-être trop uniquement virtuose et plaisante d’un peintre de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie<br />de son temps.</p> <p>&nbsp;&nbsp;L’un des grands mérites de la rétrospective du Louvre (24 février - 15 mai 2006), conçue par Vincent Pomarède et ses érudits collaborateurs, est d’avoir donné accès à l’abondance et à la richesse de cette oeuvre extraordinaire qui constitue en quelque sorte, comme le dit le catalogue, un lien entre les grands maîtres du XVIe siècle et l’époque de Picasso et Matisse. Même si Ingres écrivait dans ses pensées, en 1821, comme s’il avait voulu nous en convaincre, « <em>je suis donc un conservateur des bonnes doctrines, et non un novateur </em>», le visiteur de l’exposition a pu constater à quel point son expression a été inventive, innovante et d’une richesse extrême en comparaison avec l’œuvre d’autres maîtres de son temps. Ingres apparaît désormais comme l’un des peintres les plus importants de l’histoire.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Il serait superflu d’expliquer quel soin extraordinaire ce maître du raffinement absolu et de l’esthétique apportait à ses oeuvres, depuis les dessins préparatoires et les études à l’huile jusqu’aux tableaux définitifs. Tout cela, l’exposition et son catalogue l’ont mis, aussi bien qu’il était possible, en évidence. Reste surtout à se demander si les tableaux, dans leur état actuel de conservation, correspondent encore, de près ou de loin, aux intentions de l’artiste. Lorsqu’on regarde les peintures et que l’on se penche sur les reproductions du catalogue – d’ailleurs sans faille – il saute aux yeux qu’elles présentent des états si divergents qu’il est impossible de ne pas se poser de questions.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Sans vouloir être exhaustif, considérons déjà le <em>Torse d’homme</em>, antérieur à 1800,<br />du musée Ingres à Montauban (Cat. N° 1). Il possède une tonalité grise, d’un ton plus fort que celui d’une patine naturelle produite par le temps..</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">La patine grise d'Ingres</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp;Des constats similaires faits sur de nombreux tableaux d’Ingres m’ont conduit à conclure que ce type de patine grise avait été posé par l’artiste lui-même.<br />Je sais combien cette idée peut être déroutante pour la conception que nous nous faisons aujourd’hui de la peinture. Néanmoins il ne s’agit pas d’une vue théorique.<br />L’observation attentive de portraits, tel celui de <em>Delphine Ingres-Ramel </em>peint en 1859, dans la collection Oskar Reinhart de Winterthur dont je suis le restaurateur, montre qu’il existe un très léger voile gris, distribué en particulier sur les carnations de manière très subtile (fig.1).</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Ingresfemmedetail.gif" width="624" height="441" alt="Ingresfemmedetail" /></p> <p>&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;On retrouve déjà ce phénomène sur sa <em>Baigneuse de Valpinçon</em>, du musée du Louvre, peinte en 1808. Ce magistral nu de dos n'est pas modelé par un dégradé de tons opaques peints en pleine pâte, comme on pourrait le supposer. Les subtiles variations<br />du volume sont obtenues par un gris semi-transparent posé sur un fond général de ton chair claire. Ce gris forme les ombres, bien sûr, mais, étonnement, il voile aussi les parties en pleine lumière, telle l'épaule montrée dans ce détail (fig. 2).<br />Nous voyons que ce voile gris a été quelque peu malmené par des nettoyages, abrasé, déplacé dans les creux de la structure. Il est même presque supprimé sur une petite zone rectangulaire du haut de l'épaule, laissant un aplat vide.</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/IngresEpauledetail.gif" width="624" height="425" alt="IngresEpauledetail" /></p> <p>&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;La même chose se manifeste dès les premiers portraits avec le <em>Portrait d’homme à<br />la boucle d’oreille</em>, de 1804, qui appartient aussi au musée de Montauban (Cat. N° 26).<br />Tout en étant nettoyé, le tableau conserve une forte patine gris-brun, incrustée dans<br />la couche picturale, qui soutient le modelé du visage. Surtout évidente sur le col de la chemise “blanche”, elle joue exactement le rôle inverse d’un contraste, contribuant au contraire à l’harmonisation générale du tableau. Ici, la structure des coups de brosse a été inopportunément mise en valeur par le nettoyage, ce qui ne correspond en rien à l’intention de l’artiste. Mais chacun peut aisément s’imaginer le résultat qu’aurait produit un nettoyage plus poussé : le modelé aurait disparu, le visage aurait été rendu encore plus plat et la chemise, devenue toute blanche, aurait produit un contraste aigu luttant contre le reste du tableau. Bref,on aurait un Ingres de plus, semblable à ceux que les musées ont l’habitude de proposer.</p> <p><em>&nbsp;&nbsp;Virgile lisant l’Énéide devant Auguste et Livie </em>(1819, intitulé aussi <em>Tu Marcellus eris&nbsp;</em>) qui appartient aux musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles (Cat. N°37) est un exemple de tableau dans lequel la patine artificielle gris-brun d’Ingres est encore conservée. Evidemment, dira-t-on, puisqu’il s’agit là d’une scène de relative pénombre… Mais <em>Roger délivrant Angélique&nbsp;</em>(Cat. N° 44) du musée du Louvre, qui date de la même année, représente, lui aussi, une scène nocturne. Et néanmoins, on s’est efforcé<br />de réduire le plus possible ce gris-brun, avec pour résultat une couche picturale inégalement blessée, des craquelures causées par les solvants et, par ailleurs, l’apparence d’un tableau tout plat, manquant de modulation dans les volumes et<br />les chairs.</p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/IngreOedipe.gif" width="624" height="345" alt="IngreOedipe" /></p> <p>&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;Il serait aussi édifiant de comparer l’<em>Œdipe et le Sphinx</em>, qui est au Louvre (fig. 3), avec la version de1864, à la Walters Gallery de Baltimore, deux scènes situées en grande partie dans la semi-obscurité d’une grotte. La version de Baltimore montre à présent la scène projetée en plein jour par un nettoyage encore plus poussé que sur la version du Louvre.Et que dire des portraits, surtout féminins, qu’on a décrassés de façon trop intense, comme, parmi beaucoup d’autres, celui de <em>Madame Moitessier debout </em>(1851, National Gallery de Washington, Cat. N° 160), ou de <em>Madame Rivière</em>, au Louvre, dans lesquels des portions d’étoffes et de chair ont perdu leur modelé du fait de la réduction de leur patine grise. Heureusement,dans la plupart des tableaux qui ont été ainsi traités, il reste, par endroits, de petits témoins de cette patine ingresque.</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Les tonalités grises et la photographie</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp;La peinture d’Ingres était-elle vraiment grise ? On n’a jamais pris au sérieux les témoignages écrits parce qu’on n’y a vu que des appréciations ironiques. Mais il est bien connu que la qualité de l’ironie réside en ceci qu’elle est une vérité drapée de drôlerie. D’Amaury Duval, nous connaissons ces deux phrases : « <em>On trouva dans l’anagramme du nom Ingres les mots: en gris. Dès lors, M. Ingres a fait gris, le gris était sa couleur de prédilection, il faisait communier ses élèves avec du gris. </em>» - « <em>Il est connu que la peinture de M. Ingres est grise. – Ouvrez l’œil, nation nigaude, et dites si vous vîtes jamais de la peinture plus éclatante et plus voyante, et même une plus grande recherche de tons ? </em>»</p> <p>&nbsp;&nbsp;De Robert de la Sizeranne, nous avons celle-ci :« <em>C’est encore pourquoi les deux seules couleurs qu’il recommandât à ses élèves étaient le “gris laqueux” pour les demi-teintes, et le brun rouge, dont il disait : “C’est une couleur tombée du ciel !”&nbsp;</em>»</p> <p>&nbsp;&nbsp;Mais les nations, au lieu simplement d’ouvrir l’œil (Amaury Duval n’en demandait pas davantage), ont cherché où pouvaient bien se trouver ces couleurs éclatantes et voyantes. Afin de ne plus passer pour « <em>nigaudes </em>», elle sont cru trouver la solution en effaçant les patines originales d’Ingres.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Dans <em>De l’art et</em><em> du beau</em>, le maître écrit pourtant : « <em>Les chefs-d’œuvre ne sont pas faits pour éblouir. Ils sont faits pour persuader, pour convaincre, pour entrer en nous par les pores&nbsp;</em>». Mais nous, les descendants, nous voulons tout faire pour éblouir par nos nettoyages inadaptés, à l’inverse de la conception et des intentions de l’artiste.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Il me paraît justifié, à propos de la patine grise et artificielle d’Ingres, de faire<br />la réflexion suivante. Ce maître, sensible aux événements de son époque, avait reconnu sans difficulté les capacités de la photographie,tout en craignant qu’elle ne concurrençât injustement les aquafortistes. L’un des mérites évidents de la photographie tenait à la richesse de ces nuances de tonalités grises, par lesquelles elle transposait la réalité sans utiliser aucune couleur. Par la suite, il y eut des peintres qui s’opposèrent,<br />par leur genre d’expression, à cette capacité, purement technique, de la photographie,<br />et d’autres, comme Ingres justement, qui enrichirent leur vision artistique en adoptant les possibilités de la gamme grise et parvinrent à surpasser de beaucoup la simple apparence technique.</p> <p>&nbsp;&nbsp;A l’avenir, il serait éminemment souhaitable que l’on se donne d’abord la peine<br />de mener des recherches sur ce gris ingresque avant de décider d’éliminer de la saleté grise.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp;Reste à faire une observation, d’ordre muséologique. On a investi – si mal ! –<br />de fortes sommes d’argent pour que les tableaux “en jettent” – ce qui, pour Ingres,<br />est un contresens. Mais comment traitons-nous les dessins du maître ? Sont-ils si négligeables et dénués de valeur qu’ils ne méritent pas de perdre une seule seconde pour leur porter le minimum de soin que leur conservation réclame ? Comment<br />peut-on présenter des oeuvres de musées dans des états de conservation si négligés,<br />si dégradés, en décomposition même ? Peut-être a-t-on la noble intention de prouver<br />au spectateur que la qualité esthétique des dessins d’Ingres importe moins que l’incomparable beauté de la nature, qui se manifeste sous forme de taches produites par une grande variété de moisissures, de décolorations, de papiers jaunis par des colles douteuses et des composants acides, ou d’autres choses encore…</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Paul Pfister</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> Rembrandt : Quel anniversaire pour les Rembrandt du Louvre ? 2011-12-09T16:51:49Z 2011-12-09T16:51:49Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/56-artistes/81-rembrandt-quel-anniversaire-pour-les-rembrandt-du-louvre-.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;"> Nuances 36-37 (2006) - pp. 3-7</span></span></span></p> <h2>Quel anniversaire pour les Rembrandt&nbsp;du Louvre&nbsp;?</h2> <p><span style="font: normal normal normal 12px/normal Helvetica;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;">par Michel FAVRE-FÉLIX &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; version révisée 07/12/2012</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="font: normal normal normal 12px/normal Helvetica;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><br /></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Autoportrait-aux-yeux-ecarquilles.png" alt="Rembrandt - Autoportrait aux yeux écarquillés" style="cursor: default; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 11px; float: left; margin-top: 0px; margin-right: 20px; margin-bottom: 5px; margin-left: 0px; border-width: 0px; padding: 0px;" /></p> <p><i><br /></i></p> <p><i><br /></i></p> <p><i>Ernst van de Wetering, coordinateur du dernier catalogue des œuvres de l’artiste, considère qu’il n’existe pas de raison valable de ne pas dévernir tous les tableaux de Rembrandt. Il entendait le démontrer, à l’auditorium du Louvre, avec des arguments forts étranges. Voici nos commentaires.</i></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; A l’occasion du 400ème anniversaire de la naissance de l’artiste, deux journées d’étude avaient réuni en juin une vingtaine de spécialistes autour des œuvres rembranesques du Louvre. Le 1er décembre, à l’auditorium, cinq d’entre eux étaient conviés à une table ronde, afin de tirer les leçons des rencontres de juin et d’évoquer d’éventuelles restaurations.&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Entre tous les exposés, celui d’Ernst van de Wetering, président du Rembrandt Research Project (RRP) depuis 1992 {silvertooltip title ="Le RRP est un programme collégial d’expertise des attributions à Rembrandt, débuté en 1968.<br />Il a déjà publié plusieurs volumes de son catalogue raisonné :<br />A Corpus of Rembrandt Paintings, vol I (1982), vol II (1986), vol III (1990), vol IV (2005), vol V (à venir)"}(1) {end-silvertooltip}, nous a particulièrement frappés.</p> <p>&nbsp;&nbsp; L'historien hollandais a en effet voulu prouver le bien-fondé du dévernissage total des peintures de Rembrandt par la démonstration très curieuse que voici.</p> <h3>Palette réduite et effet de puzzle</h3> <p>&nbsp;&nbsp; M. van de Wetering a d’abord rappelé que les peintres des XVe et XVIe siècles utilisaient des palettes de petite taille, portant un nombre réduit de couleurs {silvertooltip title ="E. van de Wetering, <em>Rembrandt, The Painter at Work</em>, Amsterdam University Press, 1997.<br />Voir son chapitre VI, pp. 133-152"}(2) {end-silvertooltip}. Rien de nouveau en cela. Néanmoins, remarquons qu'au siècle suivant, celui de Rembrandt, les palettes comportaient tout de même régulièrement sept ou huit noix de couleurs différentes, ce qui est un nombre considérable, comme nous le verrons plus loin.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cette remarque l'a conduit à postuler que ces artistes (lesquels au juste?) devaient travailler, du fait de leurs palettes réduites, chaque jour sur une partie de leur image en progressant morceau par morceau, lesquels seraient venus se juxtaposer comme les pièces d’un puzzle en construction, séances après séances : un col, une manche, un visage, une main, etc., chaque élément étant traité séparément. En peignant de la sorte par morceaux, prétend M. van de Wetering, ces artistes n'auraient pas visé l’unité tonale de leur peinture achevée. C’est pourquoi, a-t-il conclu en revenant subitement au cas de Rembrandt, il est normal que les tableaux de ce maître, une fois totalement dévernis, se présentent comme un assemblage de morceaux séparés et non comme un ensemble harmonieux. Il a illustré cette remarque stupéfiante par plusieurs diapositives de Rembrandt nettoyés, à l'aspect effectivement dépareillé, chaotique et sans unité.</p> <p>&nbsp;&nbsp; M. van de Wetering est libre de ses goût et de ses opinions, mais son argumentation est à ce point incohérente avec la technologie et la pratique des maîtres anciens qu’il est nécessaire d’y répondre. <br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Utiliser une palette réduite n’obligeait aucunement les artistes à morceler leur image. <br />La progression morceau par morceau est une méthode en soi (qui n’implique pas un manque d’unité finale). Elle correspond au métier des primitifs, poursuivi par certains artistes maniéristes, travaillant généralement sur des fonds blancs, où ils avaient au départ établi le dessin complet de leur composition, par un tracé parfaitement défini.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Mais la même palette “réduite” a servi pour l’approche inverse : le peintre ébauchait d’abord sa composition d’ensemble par grandes masses, avec quelques couleurs, puis revenait au fil des ses séances de travail développer ses effets picturaux, enrichir la gamme de ses colorations et modifier au besoin ses tracés.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cette technique libre, tirant parti de fonds colorés, dont le dessin pouvait évoluer, dans laquelle l’image toute entière “montait”, se construisait par strates successives, est évidemment caractéristique du Titien et va se diffuser au XVIIe.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Or, l’explication du puzzle (déjà simplificatrice pour Van Eyck ou Lucas de Leyde) ne peut pas s’appliquer à Rembrandt, et M. van de Wetering ne devrait pas l’ignorer. Dans le livre qu’il a publié en 1997, <em>Rembrandt, The Painter at Work</em> – où il multiplie d’ailleurs les rapprochements avec la technique du Titien – il explique suffisamment bien comment procédait Rembrandt : la coloration du fond par des jus jaune-brun ou par une couche gris chaud, l’esquisse puis l’étape de mise en œuvre complète du tableau par des “tons morts” (<em>doodverf</em>) constituant un véritable ensemble (et non une partie de puzzle), destinés à être retravaillés et achevés par les touches finales. Cette progression est exposée sans ambiguïté par Gerard de Lairesse, qui connut bien Rembrandt, dans son traité <em>Het Groot Schilderboeck</em>&nbsp;de 1707 ; elle est manifeste dans les œuvres de la maturité et s’appliquait aussi à ses travaux antérieurs. Un inventaire de 1632 mentionne des peintures en&nbsp;“tons morts” en attente de finition dans l’atelier de Pieter Lastman, le maître de Rembrandt {silvertooltip title ="G. Schwartz, <em>Rembrandt’s Universe</em>, Thames &amp; Hudson, 2006, p.89"} (3) {end-silvertooltip}.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Les conservateurs de la National Gallery de Londres, dans leur excellent ouvrage <em>Art in the Making, Rembrandt</em>, ont d'ailleurs directement réfuté les déductions de M. van der Wetering, en notant : « <em>Cette description de la palette</em> [réduite] <em>de Rembrandt, quoiqu’exacte, ne rend pourtant pas justice à la subtilité de sa méthode de peinture, dans laquelle couleurs et transparences sont obtenues en faisant continuellement varier les combinaisons de ces quelques pigments, et ensuite sont modifiées par la construction des couches de peintures, les unes sur les autres, jusqu’à obtenir l’effet recherché</em>. {silvertooltip title ="Roy et J. Kirby, “Rembrandt’s palette”, <em>Art in the Making : Rembrandt</em>, Edition National Gallery Compagny, 2006, p. 36"} (4) {end-silvertooltip}» <br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; La palette de Rembrandt était-elle "réduite" ? Ce serait d'ailleurs le premier point qu'il faudrait prouver. Le peintre lui-même apporte la réponse en balayant le postulat de départ de M. van de Wetering. Dans l'<em>Autoportrait au chevalet</em> du Louvre, Rembrandt se représente avec une palette à la main. L'étude scientifique de cet autoportrait a prouvé que les pigments représentés sur cette palette, aussi "réduite" qu'elle nous paraisse (cinq couleurs plus un noir) ont permis au peintre de réaliser l'ensemble de son tableau. Non pas d'en peindre un morceau en attente d'un suivant à l'aide d'une autre gamme de couleurs, mais la totalité de sa peinture. Tous les éléments représentés, la peau comme les tissus, le fond comme les cheveux, n'ont pas réclamé d'autre palette que celle que tient l'artiste. Si astucieusement présentée que soit la théorie de M. van de Wetering, elle n'a aucun rapport avec la réalité.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il nous reste suffisamment d’œuvres de Rembrandt dont il avait choisi de laisser certaines parties “non finies”, ou d’autres tableaux qu’il a laissés inachevés, pour comprendre comment il travaillait. Plus loin dans son exposé, M. van de Wetering a d’ailleurs projeté la photographie d’un tel tableau qui démontrait le contraire de ses hypothèses : toute la composition était déjà parfaitement ébauchée, le visage brossé hardiment, en attente d’une étape supplémentaire (fig. 1). Ce <em>Croisé</em> est justement l’une des œuvres laissées en “tons morts” authentifiées par le RRP, avec l’<em>Etude d’un vieillard de profil</em> de 1630 (Copenhague, Statens Museum) et un <em>Autoportrait au béret inachevé</em>, vers 1659 (musée Granet, Aix-en-Provence).</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Croise-detail-Fig-1.gif" mce_src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Croise-detail-Fig-1.gif" alt="Rembrandt croisé détail" title="Rembrandt croisé détail" mce_style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px;" style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px;" /></p> <p>&nbsp;&nbsp; Deux questions méritent réflexion : pourquoi est-il nécessaire d’échafauder une thèse fausse sur la technique de Rembrandt pour justifier le résultat “en puzzle” produit par le nettoyage radical de ses peintures ? Pourquoi cet historien tient-il un tel discours, proprement suréaliste, au musée du Louvre ?</p> <h3>Les glacis chez Rembrandt</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Ernst van de Wetering entreprend aussi une étrange croisade sur la question des glacis, et plus exactement, sur leur quasi non-utilisation par Rembrandt.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Dans son ouvrage, déjà cité (pp. 193-201), il entend défaire le « <em>mythe&nbsp;des glacis</em> » qui se serait développé&nbsp;au début XXe siècle&nbsp;à partir des écrits de Max Doerner, {silvertooltip title ="M. Doerner, <em>Malmaterial und seine Verwendung im Bilde</em>, 1922.</p> <p>Max Doerner, peintre et professeur, fonda en 1937 l’institut qui porte encore son nom,</p> <p>afin d’étudier les techniques des maîtres anciens en les expérimentant dans la pratique</p> <p>(aujourd’hui institut de conservation-restauration et de recherche à Munich)."} (5) {end-silvertooltip}. Ce dernier, chercheur en techniques picturales anciennes, aurait mal observé les œuvres du maître en croyant y discerner de multiples glacis résineux colorés, ces couleurs en transparence dont Rembrandt se serait servi pour achever sa première étape de peinture&nbsp;quasi-monochrome&nbsp;en “tons morts”.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Le tableau-test que M. van de Wetering choisi pour mettre en doute l'existence de multiples glacis chez Rembrandt est la <em>Ronde de nuit</em>. Il appuie son raisonnement sur le fait qu’un seul et unique glacis ait été retrouvé sur cette vaste toile : une laque rouge posée en transparence sur une écharpe vermillon. Ce glacis rouge étant conservé, M. van de Wetering&nbsp;s'empresse de conclure – de manière fort éliptique – que si jamais l’artiste avait utilisé d'autres variétés de glacis nous les retrouverions, eux aussi préservés sur la <em>Ronde</em>.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Remarquons d’abord la naïveté de ce raisonnement qui ignore la pratique des restaurateurs du passé : leurs nettoyages pouvaient être drastiques, mais ils n'étaient pas uniformes. La réalité de leurs dégâts est plus complexe qu’un “tout ou rien”. Il leur était facile de repérer un glacis rouge carmin dessinant le pli d’une écharpe vermillon ; dans le même temps qu'ils épargnaient celui-ci, ils pouvaient détruire sans y prendre garde des glacis jaunes ou bruns, dont la couleur et la transparence les rend faciles à confondre avec le vernis jauni qu'ils s’appliquaient à supprimer. Ceci montre, tout d'abord, qu'il n'est pas sérieux de lancer des affirmations générales en se basant sur un seul exemple et en méconnaissant les procédés des restaurations passées.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ensuite, notons que l'exemple de la <em>Ronde de nuit</em> est bien mal choisi, car cette œuvre a la particularité d'avoir subi au moins 25 restaurations au cours de son histoire !&nbsp;M. van de Wetering lui-même rapporte&nbsp;qu’en « <em>une ou plusieurs de ces occasions, la surface de la peinture a été radicalement sur-nettoyée </em>[over-cleaned] <em>et même abrasée en plusieurs endroits</em>&nbsp;» (p. 195).</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il est tout de même insensé d’examiner l’un des tableaux de Rembrandt les plus sur-nettoyés, abrasé, pour nous dire quelles étaient les ultimes - et plus fragiles - finitions réalisées par ce peintre. Il conviendra au contraire de se référer aux œuvres les moins restaurées ; cette évidence qui échappe à l'historien hollandais, commence à être reconnue parmi les plus jeunes générations dans le monde de la restauration {silvertooltip title =" Voir notament <em>Personal Viewpoints, Thoughts about Painting Conservation</em>, Getty Conservation Institute, 2003"} (6) {end-silvertooltip}» . <br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; On peut s'étonner qu'un historien continue à soutenir une telle opinion sur les glacis de Rembrandt alors que les examens scientifiques de ses peintures l'ont définitivement réfuté. L’étude des tableaux de Rembrandt conduite à la National Gallery de Londres ne laisse aucun doute sur la présence de couleurs transparentes dans la palette de l’artiste. Outre les laques rouges et les laques jaunes (<em>verschietgeelen</em>), les auteurs de l’étude répertorient les couleurs transparentes jaunâtres, connues sous le nom de “pink” ou “pinke” se déclinant en plusieurs tonalités jaunes, brunes, rosées, verdâtres, produites par des teintures extraites de végétaux (genêt, gaude, baies du nerprun commun ou de la bourdaine) fixées sur un substrat à base de craie {silvertooltip title =" Pour plus de détails, R.D. Harley, <em>Artists’ Pigments c. 1660-1835, </em></p> <p><em>A Study in English Documentary Sources</em>, Archetype Publications, 2001, pp. 107-114"} (7) {end-silvertooltip}».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ainsi que le notent les conservateurs anglais :« <em>Dans les glacis de Rembrandt, les laques jaunes et rouges sont souvent combinées, parfois simplement entre elles, mais plus souvent toutes deux en mélanges complexes avec des terres, du noir ou même du smalt</em> [poudre de verre colorée au bleu de cobalt], <em>pour créer un large éventail de couleurs et de textures </em>. {silvertooltip title =" D. Bomford, J. Kirby, et al., “Rembrandt’s painting materials and methods”, <em>Art in the Making : Rembrandt</em>, 2006, pp. 43-44"} (8) {end-silvertooltip}»</p> <p>Ces glacis, du fait qu'ils contiennent un peu de pigments opaques, peuvent être semi-transparents ou opalescents.</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Microphoto-Fig-2.gif" mce_src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Microphoto-Fig-2.gif" alt="Rembrandt microphoto" title="Rembrandt microphoto" mce_style="margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; float: left; margin-right: 50px;" style="margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; float: left; margin-right: 50px;" /></p> <p>&nbsp;&nbsp; Quel reproche pourrait-on faire finalement aux observations de Max Doerner, vers 1920 ? A la lumière des connaissances actuelles, on ne peut relever finalement que deux erreurs relatives : il a sous-estimé la force des couleurs dans l’étape en “tons morts” chez Rembrandt, et il a pensé à tort que ses glacis étaient composés de vernis résineux vulnérables. Les glacis de Rembrandt analysés jusqu’ici s’avèrent composés d’huile, généralement sans résine. Peut-être a-t-il employé d’autres glacis résineux aujourd'hui disparus&nbsp;justement à cause de leur fragilité,&nbsp;victimes de nettoyages drastiques. &nbsp;En outre, une composition à l'huile sans résine ne garantit pas qu'ils aient tous résisté à des dévernissages anciens effectués avec des solvants forts. Surtout lorsque l'on considère la <em>Ronde de Nuit</em>, qui a connu vingt cinq restaurations toutes époques confondues !</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il est heureusement possible d’observer un certain nombre de glacis préservés sur le <em>Bœuf écorché</em> du Louvre. La laque rouge carmin glacée sur le flanc se transforme en touche épaisse de sang séché. D’autres glacis plus discrets s’entrecroisent, de ton jaune ou de tonalité froide. L’<em>Autoportrait</em> de 1658, de la collection Frick, pourtant privé de tout vernis ancien, fournit l’exemple typique d’un glacis brun jaune posé sur une couche blanche, même à l’endroit de la plus haute lumière sur le col de la chemise. Le glacis y est arraché par endroits, ponctuellement abrasé jusqu’à la couche blanche.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; La volonté démonstrative de M. van de Wetering est donc très troublante. Entre le mythe d’un Rembrandt peignant tout en glacis fragiles et ce nouveau mythe d’une peinture quasiment sans glacis, il y a la réalité de ses surfaces picturales complexes, en évolution au cours de sa carrière, et surtout maltraitées par les restaurations à un degré souvent dramatique {silvertooltip title =" Dans son récent ouvrage consacré à Rembrandt, l’historien de l’art Gary Schwartz ajoute :</p> <p><em>«En fait, pratiquement toutes les peintures reproduites dans </em>[mon]<em> livre</em> [...] <em>devraient</em></p> <p><em> être étiquetées “Rembrandt et les restaurateurs”</em> .» (in <em>Rembrandt’s Universe</em>,</p> <p>Thames and Hudson, 2006, p. 342). Curieusement, cette remarque n’est pas traduite</p> <p>dans l’édition française (<em>Rembrandt</em>, chez Flammarion, 2006)"} (9) {end-silvertooltip}.</p> <p>&nbsp;&nbsp; De plus, en avançant des hypothèses sur la technique picturale d’un artiste, il convient de prendre garde à l’état relatif de nos connaissances. Le médium utilisé par Rembrandt pour obtenir ses empâtements spectaculaires et fort variés a fait l’objet de plusieurs vagues d’analyses. On a d’abord estimé qu’il n’utilisait qu’une huile simple, additionnée parfois de craie (incolore dans l’huile) pour lui donner plus de corps tout en réservant sa transparence (Bomford 1988, White et Kirby 1994). Puis des moyens d’analyse différents ont indentifié de l’œuf en émulsion dans de l’huile (Groen 1997). Ultérieurement, la pertinence de cette détection d’œuf a été mise en doute (White 2006). Actuellement, des chercheurs font l’hypothèse d’un autre élément, dont l’apport serait déterminant : une huile fortement et longuement chauffée, très épaisse, dont Rembrandt devait connaître la recette puisqu’elle servait à fabriquer l’encre d’impression des gravures {silvertooltip title =" S. Belchetz-Swenson et P. Dent Weil, “Rembrandt and burnt plate oil :</p> <p>new observations and proposals on Rembrandt’s painting medium”,</p> <p><em>Art of the Past, Sources and Reconstructions</em>, Archetype Publications, 2005, pp. 107-110"} (10) {end-silvertooltip} .</p> <h3>Dévernissage des Rembrandt</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Le plaidoyer d’Ernst van de Wetering en faveur du dévernissage était déjà une croisade dans son ouvrage de 1997, où il fait l’objet d’un chapitre entier {silvertooltip title =" E. van de Wetering, op. cit. chapitre X, ”The Impact of Time and Rembrandt’s Ideas on Color and Tone”. "} (11) {end-silvertooltip}. On en retiendra cette formule : « […] <em>si l’on met à part les discussions sur les possibles dangers que présente l’utilisation de certains solvants pour la condition physique des couches picturales, nous pouvons soutenir qu’apparemment aucun argument décisif ne peut être avancé contre l’enlèvement d’un vernis jauni sur les peintures de Rembrandt.</em> » (p. 250)</p> <p>&nbsp;&nbsp; L’auteur discute malgré tout plusieurs arguments dont la paternité revient à René Huyghe et qui sont aux fondements de la “doctrine du Louvre” en matière de restauration modérée {silvertooltip title =" R. Huyghe, ”Le problème du dévernissage des peintures anciennes et le Musée du Louvre”,</p> <p><em>Museum</em>, vol III n°3 (1950), que nous avons tenu à republier <em>in extenso</em></p> <p>dans <em>Nuances</em> 29 (2002)."} (12) {end-silvertooltip}. Rappelons brièvement que, pour Huyghe, un vernis ancien ("jauni") conservé sur le tableau, en couche plus ou moins fine, permet de compenser trois problèmes : les <em>usures superficielles</em> subies par l’original (qu'il tempère), les <em>distorsions harmoniques</em> apparues entre des teintes stables et d’autres couleurs fugaces ou altérées par le vieillissement (qu'il atténue), et enfin, le <em>durcissement du contraste&nbsp;</em>entre les valeurs sombres et les claires, apparu avec le temps de manière plus générale encore. Pour contrebalancer ce durcissement, le vernis ancien agit comme le voile d’une patine qui « <em>rétablit l’équilibre rompu des valeurs en rapprochant les blancs teintés des noirs adoucis</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; M. van de Wetering convient de la justesse de ces trois arguments. Mais il note que le premier ne s'appliquera pas pour les tableaux qui n’ont pas subi de nettoyages forts par le passé [or ces cas sont rarissimes en réalité, voir la <em>Ronde de Nuit</em> citée plus haut], et pour le second, il considère que les pigments de Rembrandt « <em>ne paraissent pas</em> » avoir changé de ton [affirmation bien trop générale]. Enfin, il écarte le dernier argument de Huyghe car il estime que les contrastes chez Rembrandt sont (par miracle) inchangés. Et il propose un excellent moyen de le vérifier: la comparaison des peintures de l'artiste avec ses gravures, dont les rapports sombres/clairs serviront de repère puisque leur technique leur épargne les changements qui affectent les couleurs à l'huile.&nbsp;<br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; La comparaison des peintures avec des gravures « <em>parfaitement abouties</em> » lui suggère « <em>comme règle générale</em> » que les parties sombres des peintures ont pu légèrement s’assombrir, mais que « <em>le rapport d’ensemble entre les sombres et les clairs est si bien préservé qu’il est permis de dire que les intentions de Rembrandt à cet égard n’ont pas fondamentalement été déformées par le temps.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Son argument nous intéresse car M. van de Wetering choisit comme exemple la <em>Bethsabée</em>&nbsp;du Louvre de 1654 qu’il met en parallèle avec la <em>Femme devant le poêle</em>, gravure de 1658 (fig. 3 et 4, ci-dessous). Et il constate que la peinture a conservé le même registre de contrastes que la gravure de sujet similaire. La comparaison est absolument probante. Mais justement elle démontre le contraire de la théorie qu'il défend : la similitude tient au fait que le tableau du Louvre a gardé son vernis ancien, légèrement ambré, tel que Huyghe le souhaitait… Si elle était dévernie - comme le prône l'historien hollandais - elle afficherait justement un durcissement des contrastes en désaccord avec la gravure qui témoigne toujours des intentions originales de Rembrandt.</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Betsabee-Fig-3-et-4.gif" mce_src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Betsabee-Fig-3-et-4.gif" alt="Rembrandt Bethsabée" title="Rembrandt Bethsabée" mce_style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; margin-right: 50px;" style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; margin-right: 50px;" /></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; L’exercice serait encore plus convainquant si M. van de Wetering avait choisi son document avec davantage d’exigence scientifique. La gravure qu’il reproduit dans son livre n’est en effet pas l’état « parfaitement abouti » annoncé. C’est le premier état (tirage conservé à Amsterdam) qui sera suivi de six autres étapes de travail, au fil desquelles Rembrandt retravaille son image ! Il assombri et réduit les détails du fond, supprime la coiffe blanche du modèle ce qui permet de l'unir plus intiment à l'obscurité de la pièce. Ce fait n’est pas indifférent lorsqu’on cherche à comprendre les intentions de l’artiste : choisir ce premier état équivaut à choisir la première étape d’une peinture, sans se préoccuper des finitions que l'artiste apportera pour achever son œuvre.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Si nous regardons le septième état (fig. 3) nous constatons que le rapport fonctionne en effet parfaitement avec la peinture pourvue de son vernis ancien. La concordance est d'autant plus sensible que ces gravures – M. van de Wetering oublie de le dire ou ne s’y attache pas – ont été imprimées par Rembrandt lui-même, non pas sur un papier européen blanc, mais sur un papier japonais dont la gamme de tonalités d’origine va de l’ivoire ambré au ton chamois. Ce papier était beaucoup plus onéreux et Rembrandt l'a donc choisi pour ses qualités esthétiques: sa tonalité ambrée, qui modère le contraste de l'encre noire sur un papier trop blanc - de même que le vernis doré peut modérer le contraste devenu excessif sur la peinture - et son absorption de l’encre qui produit des tirages « <em>plus adoucis, assourdis.</em> » {silvertooltip title =" Thomas Rassieur, du musée de Boston, dans le catalogue d’une exposition des gravures de Rembrandt :</p> <p>C.S. Ackley, <em>Rembrandt’s Journey : Painter, Draftsman, Etcher</em>, AFA Publications, Museum of Fine Arts, Boston, 2003, p. 55"} (13) {end-silvertooltip}</p> <h3>Le vernis original de Rembrandt</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Ernst van de Wetering fournit donc une excellente raison d’être satisfait de l’état actuel de la <em>Bethsabée</em>.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Lorsque la conservation des œuvres est en jeu, qui engage la responsabilité d’un musée, on ne peut pas se guider sur des théories, ni « <em>mettre à part les possibles dangers</em> » de pénétration des solvants. Il faut à la fois prendre connaissance des peintures les mieux préservées et considérer le cas spécifique de chaque tableau que l’on se propose d’étudier. Dans l’auditorium, nous avions le sentiment d’être revenus cinquante ans en arrière, à une époque où il suffisait de dire “enlevons tous les vernis jaunis et nous retrouverons l’œuvre du maître telle qu’il l’avait créée” et cette impression de caricature était accentuée par la formule de M. van de Wetering au moment où la parole était donnée à la salle : « <em>Il paraît qu’il y a un lobby anti-restauration en France…, si ses membres sont dans la salle, nous aimerions bien les entendre !</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Nous n’avions aucun motif de nous sentir concernés par cette apostrophe polémique, et il nous intéressait bien davantage de poser la question du vernis final utilisé par Rembrandt lui-même.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il est frappant en effet que les avocats du dévernissage complet, présents à l’auditorium, n’aient pas songé à aborder ce point historique primordial. On réclame le dévernissage sans se demander ce que Rembrandt avait voulu et réalisé, sans chercher quel vernis il avait lui-même employé. Cet “oubli” montre que leur position repose sur des préjugés de goûts personnels (dictés par les préférences esthétiques des XXe et XXIe siècles) et non sur une recherche de l’aspect authentique des peintures, tenant compte des matériaux utilisés par l’artiste du Siècle d'Or.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ce même “oubli” a rendu possible durant des décennies l’emploi de vernis synthétiques désastreux sur les peintures anciennes et nous étions étonnés de voir ce point négligé par Ernst van de Wetering, alors qu’il s’était montré, voici une vingtaine d’années, conscient de ces problèmes {silvertooltip title =" E. van de Wetering, ”The surface of Objects and Museum Style” (1981) et</p> <p>”The Autonomy of Restoration : Ethical Considerations in Relation to Artistic Concepts” (1989)</p> <p>republiés dans <em>Historical and Philosophical Isssues in the Conservation of Cultural Heritage</em>,</p> <p>Getty Conservation Institute, 1996"} (14) {end-silvertooltip}.<br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Quel type de vernis Rembrandt avait-il pu employer ?</p> <p>&nbsp;&nbsp; Par chance, une mince couche de vernis d’origine de la <em>Ronde de Nuit</em> est parvenue jusqu’à nous, préservée sous un repeint très ancien apposé sur l'œuvre avant la fin du XVIIe siècle : selon Ernst van de Wetering ce vernis de Rembrandt était composé de mastic. Cette indication était incomplète puisque le mastic est simplement une résine, qui peut servir aussi bien pour fabriquer un vernis gras à l’huile qu’un vernis maigre à l’essence. S’agissant un artiste de cette époque, durant laquelle justement les deux types de recettes coexistent, il était primordial de le savoir. Comme nous lui demandions cette précision, l'historien hollandais nous a affirmé qu'il s'agissait de mastic à l'essence.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Toutefois, les services de restauration des peintures du Rijksmuseum nous ont récemment démenti que cet échantillon provenant de la <em>Ronde de Nuit</em> ait jamais été analysé... contrairement à ce que laissait entendre M. van de Wetering.</p> <p>&nbsp;&nbsp; En l'absence d'analyse de cet échantillon, nous devons élargir la recherche au cercle de Rembrandt. L’indication la plus proche est fournie par Samuel van Hoogstraten, qui fut son élève entre 1641 et 1648 : « <em>Notre vernis, composé de térébenthine</em> [de Venise], <em>d’huile</em> [essentielle] <em>de térébenthine, et de mastic en poudre dissous, convient suffisamment à nos oeuvres</em> ».{silvertooltip title =" S. van Hoogstraeten, Inleyding tot de Hooge Schoole der Schilderkonst,</p> <p>Rotterdam 1678 : « Onzen vernis van Terpentijn, terpentijn oly,</p> <p>en gestooten mastix gesmolten, is bequaem genoeg tot onze werken. »</p> <p>Cité par Eastlake, <em>Methods and Materials of Paintings</em>, vol. 1, p.477"} (15) {end-silvertooltip}</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ainsi, en plus de la résine mastic (résine dont le “jaunissement” naturel est assez rapide, totalement prévisible et bien connu des peintres qui l'employaient) ce vernis contient une oléorésine issue du mélèze commun, d'un ton sensiblement jaune-orangé.</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/rembrandt-venise-mastic.jpg" mce_src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/rembrandt-venise-mastic.jpg" alt="térébenthine de Venise et mastic" title="térébenthine de Venise et mastic" mce_style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; margin-right: 50px;" style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; margin-right: 50px;" /></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Or, de toute évidence les Rembrandt du Louvre comportent actuellement un vernis à l’essence, au mastic ou au dammar, résine très approchante. Ils sont donc déjà pourvus de la couche de finition la plus conforme aux intentions de l’artiste: il n'existe aucune raison, ni historique ni esthétique, valable pour la supprimer.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Lorsque l’on possède une telle indication historique et technique, elle doit s’imposer aux considérations de goût débattues jusqu’ici. Nos lecteurs pourront découvrir dans notre dossier (pages 22 à 33) l’importance que revêt la connaissance des vernis originaux dans une nouvelle approche de la conservation, basée sur l’authenticité.</p> <h3>Etudier les Rembrandt du Louvre</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Le Louvre ne s’était pas associé au Rembrandt Research Project lorsque Jacques Foucart était en charge des Ecoles du Nord. Que le musée, avec Blaise Ducos, et le C2RMF commencent d’y contribuer est parfaitement compréhensible.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cette patience a eu ceci de bon que, depuis peu de temps, le C2RMF possède les moyens d’entreprendre les examens les plus fins sans toucher aux peintures. Outre des radiographies sophistiquées (stratiradiographie, émissiographie) et le large éventail des vues sous diverses lumières, qui scrutent la surface ou vont à la recherche des dessins sous-jacents, de nouveaux outils permettent d’étudier la composition des couches colorées sans prélèvement de matière. Le C2RMF vient de démontrer brillamment ce savoir-faire en récoltant une moisson de données scientifiques sur la Joconde, présentées dans un spectaculaire ouvrage : <em>Au cœur de la Joconde</em> {silvertooltip title =" <em>Au cœur de la Joconde, Léonard de Vinci décodé</em>, Gallimard/Musée du Louvre Editions, 2006. "} (16) {end-silvertooltip}. La spectrophotométrie a même permis d’étudier les infimes glacis du sfumato de Léonard.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il y a dix ans, on pouvait comprendre qu’un expert ait souhaité profiter de&nbsp;“l’occasion” d’une restauration, qui lui donnait « <sem></sem>le meilleur accès possible aux couches de peinture originales {silvertooltip title =" E. van de Wetering, 1997, op. cit. p. 234."} (17) {end-silvertooltip}. » Mais aujourd’hui la recherche n’a plus besoin d’une restauration pour progresser.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Le Rembrandt Research Project se consacre aux attributions, une activité à part entière, dont les conclusions sont fluctuantes et révisables.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Une chose est d’élaborer des théories sur le travail d’un artiste, qui pourront être remplacées par des théories&nbsp;différentes ; autre chose est d’assurer la conservation de ses œuvres irremplaçables.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Michel Favre-Félix</p> <p><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;">version révisée 07/12/2012</span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>NOTES :</p> <p>&nbsp;</p> <p>(1) Le RRP est un programme collégial d’expertise des attributions à Rembrandt, débuté en 1968. Il a déjà publié plusieurs volumes de son catalogue raisonné : <em>A Corpus of Rembrandt Paintings</em>, vol I (1982), vol II (1986), vol III (1990), vol IV (2005), vol V (à venir).</p> <p>(2) E. van de Wetering, <em>Rembrandt, The Painter at Work</em>, Amsterdam University Press, 1997. Voir son chapitre VI, pp. 133-152.</p> <p>(3) G. Schwartz, <em>Rembrandt’s Universe</em>, Thames &amp; Hudson, 2006, p.89.</p> <p>(4) A. Roy et J. Kirby, “Rembrandt’s palette”, <em>Art in the Making : Rembrandt</em>, National Gallery Compagny, 2006, p. 36.</p> <p>(5) M. Doerner, <em>Malmaterial und seine Verwendung im Bilde</em>, 1922. Max Doerner, peintre et professeur, fonda en 1937 l’institut qui porte encore son nom, afin d’étudier les techniques des maîtres anciens en les expérimentant dans la pratique (aujourd’hui institut de conservation-restauration et de recherche à Munich).</p> <p>(6) Voir notament <em>Personal Viewpoints, Thoughts about Painting Conservation</em>, Getty Conservation Institute, 2003.</p> <p>(7) Pour plus de détails, R.D. Harley, <em>Artists’ Pigments c. 1660-1835, A Study in English Documentary Sources</em>, Archetype Publications, 2001, pp. 107-114.</p> <p>(8) D. Bomford, J. Kirby, et al., “Rembrandt’s painting materials and methods”, <em>Art in the Making : Rembrandt</em>, 2006, pp. 43-44.</p> <p>(9) Dans son récent ouvrage consacré à Rembrandt, l’historien de l’art Gary Schwartz ajoute : « <em>En fait, pratiquement toutes les peintures reproduites dans</em> [mon] <em>livre</em> [...] <em>devraient être étiquetées “Rembrandt et les restaurateurs” </em>.» (<em>Rembrandt’s Universe</em>, Thames and Hudson, 2006, p. 342). Curieusement, cette remarque n’est pas traduite dans l’édition française (<em>Rembrandt</em> chez Flammarion, 2006).</p> <p>(10) S. Belchetz-Swenson et P. Dent Weil, “Rembrandt and burnt plate oil : new observations and proposals on Rembrandt’s painting medium“, <em>Art of the Past, Sources and Reconstructions</em>, Archetype Publications, 2005, pp. 107-110.</p> <p>(11) E. van de Wetering, op. cit. chapitre X, “The Impact of Time and Rembrandt’s Ideas on Color and Tone”.</p> <p>(12) R. Huyghe, “Le problème du dévernissage des peintures anciennes et le Musée du Louvre”, <em>Museum</em>, vol III n°3 (1950), que nous avons tenu à republier <em>in extenso</em> dans <em>Nuances</em> 29 (2002).</p> <p>(13) Thomas Rassieur, du musée de Boston, dans le catalogue d’une exposition des gravures de Rembrandt : C.S. Ackley, <em>Rembrandt’s Journey : Painter, Draftsman, Etcher</em>. AFA Publications, Museum of Fine Arts, Boston, 2003, p. 55.</p> <p>(14) E. van de Wetering, "The surface of Objects and Museum Style” (1981) et “The Autonomy of Restoration : Ethical Considerations in Relation to Artistic Concepts” (1989) republiés dans <em>Historical and Philosophical Isssues in the Conservation of Cultural Heritage</em>, Getty Conservation Institute, 1996.</p> <p>(15) S. van Hoogstraeten, <em>Inleyding tot de Hooge Schoole der Schilderkonst</em>, Rotterdam 1678 : « Onzen vernis van Terpentijn, <em>terpentijn oly, en gestooten mastix gesmolten, is bequaem genoeg tot onze werken. » Cité par Eastlake, Methods and Materials of Paintings</em>, vol. 1, p.477.</p> <p>(16) <em>Au cœur de la Joconde, Léonard de Vinci décodé</em>, Gallimard/Musée du Louvre Editions, 2006.</p> <p>(17) E. van de Wetering, 1997, op. cit. p. 234.</p> <p><span style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;"> Nuances 36-37 (2006) - pp. 3-7</span></span></span></p> <h2>Quel anniversaire pour les Rembrandt&nbsp;du Louvre&nbsp;?</h2> <p><span style="font: normal normal normal 12px/normal Helvetica;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;">par Michel FAVRE-FÉLIX &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; version révisée 07/12/2012</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="font: normal normal normal 12px/normal Helvetica;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><br /></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Autoportrait-aux-yeux-ecarquilles.png" alt="Rembrandt - Autoportrait aux yeux écarquillés" style="cursor: default; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 11px; float: left; margin-top: 0px; margin-right: 20px; margin-bottom: 5px; margin-left: 0px; border-width: 0px; padding: 0px;" /></p> <p><i><br /></i></p> <p><i><br /></i></p> <p><i>Ernst van de Wetering, coordinateur du dernier catalogue des œuvres de l’artiste, considère qu’il n’existe pas de raison valable de ne pas dévernir tous les tableaux de Rembrandt. Il entendait le démontrer, à l’auditorium du Louvre, avec des arguments forts étranges. Voici nos commentaires.</i></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; A l’occasion du 400ème anniversaire de la naissance de l’artiste, deux journées d’étude avaient réuni en juin une vingtaine de spécialistes autour des œuvres rembranesques du Louvre. Le 1er décembre, à l’auditorium, cinq d’entre eux étaient conviés à une table ronde, afin de tirer les leçons des rencontres de juin et d’évoquer d’éventuelles restaurations.&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Entre tous les exposés, celui d’Ernst van de Wetering, président du Rembrandt Research Project (RRP) depuis 1992 {silvertooltip title ="Le RRP est un programme collégial d’expertise des attributions à Rembrandt, débuté en 1968.<br />Il a déjà publié plusieurs volumes de son catalogue raisonné :<br />A Corpus of Rembrandt Paintings, vol I (1982), vol II (1986), vol III (1990), vol IV (2005), vol V (à venir)"}(1) {end-silvertooltip}, nous a particulièrement frappés.</p> <p>&nbsp;&nbsp; L'historien hollandais a en effet voulu prouver le bien-fondé du dévernissage total des peintures de Rembrandt par la démonstration très curieuse que voici.</p> <h3>Palette réduite et effet de puzzle</h3> <p>&nbsp;&nbsp; M. van de Wetering a d’abord rappelé que les peintres des XVe et XVIe siècles utilisaient des palettes de petite taille, portant un nombre réduit de couleurs {silvertooltip title ="E. van de Wetering, <em>Rembrandt, The Painter at Work</em>, Amsterdam University Press, 1997.<br />Voir son chapitre VI, pp. 133-152"}(2) {end-silvertooltip}. Rien de nouveau en cela. Néanmoins, remarquons qu'au siècle suivant, celui de Rembrandt, les palettes comportaient tout de même régulièrement sept ou huit noix de couleurs différentes, ce qui est un nombre considérable, comme nous le verrons plus loin.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cette remarque l'a conduit à postuler que ces artistes (lesquels au juste?) devaient travailler, du fait de leurs palettes réduites, chaque jour sur une partie de leur image en progressant morceau par morceau, lesquels seraient venus se juxtaposer comme les pièces d’un puzzle en construction, séances après séances : un col, une manche, un visage, une main, etc., chaque élément étant traité séparément. En peignant de la sorte par morceaux, prétend M. van de Wetering, ces artistes n'auraient pas visé l’unité tonale de leur peinture achevée. C’est pourquoi, a-t-il conclu en revenant subitement au cas de Rembrandt, il est normal que les tableaux de ce maître, une fois totalement dévernis, se présentent comme un assemblage de morceaux séparés et non comme un ensemble harmonieux. Il a illustré cette remarque stupéfiante par plusieurs diapositives de Rembrandt nettoyés, à l'aspect effectivement dépareillé, chaotique et sans unité.</p> <p>&nbsp;&nbsp; M. van de Wetering est libre de ses goût et de ses opinions, mais son argumentation est à ce point incohérente avec la technologie et la pratique des maîtres anciens qu’il est nécessaire d’y répondre. <br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Utiliser une palette réduite n’obligeait aucunement les artistes à morceler leur image. <br />La progression morceau par morceau est une méthode en soi (qui n’implique pas un manque d’unité finale). Elle correspond au métier des primitifs, poursuivi par certains artistes maniéristes, travaillant généralement sur des fonds blancs, où ils avaient au départ établi le dessin complet de leur composition, par un tracé parfaitement défini.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Mais la même palette “réduite” a servi pour l’approche inverse : le peintre ébauchait d’abord sa composition d’ensemble par grandes masses, avec quelques couleurs, puis revenait au fil des ses séances de travail développer ses effets picturaux, enrichir la gamme de ses colorations et modifier au besoin ses tracés.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cette technique libre, tirant parti de fonds colorés, dont le dessin pouvait évoluer, dans laquelle l’image toute entière “montait”, se construisait par strates successives, est évidemment caractéristique du Titien et va se diffuser au XVIIe.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Or, l’explication du puzzle (déjà simplificatrice pour Van Eyck ou Lucas de Leyde) ne peut pas s’appliquer à Rembrandt, et M. van de Wetering ne devrait pas l’ignorer. Dans le livre qu’il a publié en 1997, <em>Rembrandt, The Painter at Work</em> – où il multiplie d’ailleurs les rapprochements avec la technique du Titien – il explique suffisamment bien comment procédait Rembrandt : la coloration du fond par des jus jaune-brun ou par une couche gris chaud, l’esquisse puis l’étape de mise en œuvre complète du tableau par des “tons morts” (<em>doodverf</em>) constituant un véritable ensemble (et non une partie de puzzle), destinés à être retravaillés et achevés par les touches finales. Cette progression est exposée sans ambiguïté par Gerard de Lairesse, qui connut bien Rembrandt, dans son traité <em>Het Groot Schilderboeck</em>&nbsp;de 1707 ; elle est manifeste dans les œuvres de la maturité et s’appliquait aussi à ses travaux antérieurs. Un inventaire de 1632 mentionne des peintures en&nbsp;“tons morts” en attente de finition dans l’atelier de Pieter Lastman, le maître de Rembrandt {silvertooltip title ="G. Schwartz, <em>Rembrandt’s Universe</em>, Thames &amp; Hudson, 2006, p.89"} (3) {end-silvertooltip}.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Les conservateurs de la National Gallery de Londres, dans leur excellent ouvrage <em>Art in the Making, Rembrandt</em>, ont d'ailleurs directement réfuté les déductions de M. van der Wetering, en notant : « <em>Cette description de la palette</em> [réduite] <em>de Rembrandt, quoiqu’exacte, ne rend pourtant pas justice à la subtilité de sa méthode de peinture, dans laquelle couleurs et transparences sont obtenues en faisant continuellement varier les combinaisons de ces quelques pigments, et ensuite sont modifiées par la construction des couches de peintures, les unes sur les autres, jusqu’à obtenir l’effet recherché</em>. {silvertooltip title ="Roy et J. Kirby, “Rembrandt’s palette”, <em>Art in the Making : Rembrandt</em>, Edition National Gallery Compagny, 2006, p. 36"} (4) {end-silvertooltip}» <br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; La palette de Rembrandt était-elle "réduite" ? Ce serait d'ailleurs le premier point qu'il faudrait prouver. Le peintre lui-même apporte la réponse en balayant le postulat de départ de M. van de Wetering. Dans l'<em>Autoportrait au chevalet</em> du Louvre, Rembrandt se représente avec une palette à la main. L'étude scientifique de cet autoportrait a prouvé que les pigments représentés sur cette palette, aussi "réduite" qu'elle nous paraisse (cinq couleurs plus un noir) ont permis au peintre de réaliser l'ensemble de son tableau. Non pas d'en peindre un morceau en attente d'un suivant à l'aide d'une autre gamme de couleurs, mais la totalité de sa peinture. Tous les éléments représentés, la peau comme les tissus, le fond comme les cheveux, n'ont pas réclamé d'autre palette que celle que tient l'artiste. Si astucieusement présentée que soit la théorie de M. van de Wetering, elle n'a aucun rapport avec la réalité.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il nous reste suffisamment d’œuvres de Rembrandt dont il avait choisi de laisser certaines parties “non finies”, ou d’autres tableaux qu’il a laissés inachevés, pour comprendre comment il travaillait. Plus loin dans son exposé, M. van de Wetering a d’ailleurs projeté la photographie d’un tel tableau qui démontrait le contraire de ses hypothèses : toute la composition était déjà parfaitement ébauchée, le visage brossé hardiment, en attente d’une étape supplémentaire (fig. 1). Ce <em>Croisé</em> est justement l’une des œuvres laissées en “tons morts” authentifiées par le RRP, avec l’<em>Etude d’un vieillard de profil</em> de 1630 (Copenhague, Statens Museum) et un <em>Autoportrait au béret inachevé</em>, vers 1659 (musée Granet, Aix-en-Provence).</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Croise-detail-Fig-1.gif" mce_src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Croise-detail-Fig-1.gif" alt="Rembrandt croisé détail" title="Rembrandt croisé détail" mce_style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px;" style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px;" /></p> <p>&nbsp;&nbsp; Deux questions méritent réflexion : pourquoi est-il nécessaire d’échafauder une thèse fausse sur la technique de Rembrandt pour justifier le résultat “en puzzle” produit par le nettoyage radical de ses peintures ? Pourquoi cet historien tient-il un tel discours, proprement suréaliste, au musée du Louvre ?</p> <h3>Les glacis chez Rembrandt</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Ernst van de Wetering entreprend aussi une étrange croisade sur la question des glacis, et plus exactement, sur leur quasi non-utilisation par Rembrandt.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Dans son ouvrage, déjà cité (pp. 193-201), il entend défaire le « <em>mythe&nbsp;des glacis</em> » qui se serait développé&nbsp;au début XXe siècle&nbsp;à partir des écrits de Max Doerner, {silvertooltip title ="M. Doerner, <em>Malmaterial und seine Verwendung im Bilde</em>, 1922.</p> <p>Max Doerner, peintre et professeur, fonda en 1937 l’institut qui porte encore son nom,</p> <p>afin d’étudier les techniques des maîtres anciens en les expérimentant dans la pratique</p> <p>(aujourd’hui institut de conservation-restauration et de recherche à Munich)."} (5) {end-silvertooltip}. Ce dernier, chercheur en techniques picturales anciennes, aurait mal observé les œuvres du maître en croyant y discerner de multiples glacis résineux colorés, ces couleurs en transparence dont Rembrandt se serait servi pour achever sa première étape de peinture&nbsp;quasi-monochrome&nbsp;en “tons morts”.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Le tableau-test que M. van de Wetering choisi pour mettre en doute l'existence de multiples glacis chez Rembrandt est la <em>Ronde de nuit</em>. Il appuie son raisonnement sur le fait qu’un seul et unique glacis ait été retrouvé sur cette vaste toile : une laque rouge posée en transparence sur une écharpe vermillon. Ce glacis rouge étant conservé, M. van de Wetering&nbsp;s'empresse de conclure – de manière fort éliptique – que si jamais l’artiste avait utilisé d'autres variétés de glacis nous les retrouverions, eux aussi préservés sur la <em>Ronde</em>.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Remarquons d’abord la naïveté de ce raisonnement qui ignore la pratique des restaurateurs du passé : leurs nettoyages pouvaient être drastiques, mais ils n'étaient pas uniformes. La réalité de leurs dégâts est plus complexe qu’un “tout ou rien”. Il leur était facile de repérer un glacis rouge carmin dessinant le pli d’une écharpe vermillon ; dans le même temps qu'ils épargnaient celui-ci, ils pouvaient détruire sans y prendre garde des glacis jaunes ou bruns, dont la couleur et la transparence les rend faciles à confondre avec le vernis jauni qu'ils s’appliquaient à supprimer. Ceci montre, tout d'abord, qu'il n'est pas sérieux de lancer des affirmations générales en se basant sur un seul exemple et en méconnaissant les procédés des restaurations passées.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ensuite, notons que l'exemple de la <em>Ronde de nuit</em> est bien mal choisi, car cette œuvre a la particularité d'avoir subi au moins 25 restaurations au cours de son histoire !&nbsp;M. van de Wetering lui-même rapporte&nbsp;qu’en « <em>une ou plusieurs de ces occasions, la surface de la peinture a été radicalement sur-nettoyée </em>[over-cleaned] <em>et même abrasée en plusieurs endroits</em>&nbsp;» (p. 195).</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il est tout de même insensé d’examiner l’un des tableaux de Rembrandt les plus sur-nettoyés, abrasé, pour nous dire quelles étaient les ultimes - et plus fragiles - finitions réalisées par ce peintre. Il conviendra au contraire de se référer aux œuvres les moins restaurées ; cette évidence qui échappe à l'historien hollandais, commence à être reconnue parmi les plus jeunes générations dans le monde de la restauration {silvertooltip title =" Voir notament <em>Personal Viewpoints, Thoughts about Painting Conservation</em>, Getty Conservation Institute, 2003"} (6) {end-silvertooltip}» . <br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; On peut s'étonner qu'un historien continue à soutenir une telle opinion sur les glacis de Rembrandt alors que les examens scientifiques de ses peintures l'ont définitivement réfuté. L’étude des tableaux de Rembrandt conduite à la National Gallery de Londres ne laisse aucun doute sur la présence de couleurs transparentes dans la palette de l’artiste. Outre les laques rouges et les laques jaunes (<em>verschietgeelen</em>), les auteurs de l’étude répertorient les couleurs transparentes jaunâtres, connues sous le nom de “pink” ou “pinke” se déclinant en plusieurs tonalités jaunes, brunes, rosées, verdâtres, produites par des teintures extraites de végétaux (genêt, gaude, baies du nerprun commun ou de la bourdaine) fixées sur un substrat à base de craie {silvertooltip title =" Pour plus de détails, R.D. Harley, <em>Artists’ Pigments c. 1660-1835, </em></p> <p><em>A Study in English Documentary Sources</em>, Archetype Publications, 2001, pp. 107-114"} (7) {end-silvertooltip}».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ainsi que le notent les conservateurs anglais :« <em>Dans les glacis de Rembrandt, les laques jaunes et rouges sont souvent combinées, parfois simplement entre elles, mais plus souvent toutes deux en mélanges complexes avec des terres, du noir ou même du smalt</em> [poudre de verre colorée au bleu de cobalt], <em>pour créer un large éventail de couleurs et de textures </em>. {silvertooltip title =" D. Bomford, J. Kirby, et al., “Rembrandt’s painting materials and methods”, <em>Art in the Making : Rembrandt</em>, 2006, pp. 43-44"} (8) {end-silvertooltip}»</p> <p>Ces glacis, du fait qu'ils contiennent un peu de pigments opaques, peuvent être semi-transparents ou opalescents.</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Microphoto-Fig-2.gif" mce_src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Microphoto-Fig-2.gif" alt="Rembrandt microphoto" title="Rembrandt microphoto" mce_style="margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; float: left; margin-right: 50px;" style="margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; float: left; margin-right: 50px;" /></p> <p>&nbsp;&nbsp; Quel reproche pourrait-on faire finalement aux observations de Max Doerner, vers 1920 ? A la lumière des connaissances actuelles, on ne peut relever finalement que deux erreurs relatives : il a sous-estimé la force des couleurs dans l’étape en “tons morts” chez Rembrandt, et il a pensé à tort que ses glacis étaient composés de vernis résineux vulnérables. Les glacis de Rembrandt analysés jusqu’ici s’avèrent composés d’huile, généralement sans résine. Peut-être a-t-il employé d’autres glacis résineux aujourd'hui disparus&nbsp;justement à cause de leur fragilité,&nbsp;victimes de nettoyages drastiques. &nbsp;En outre, une composition à l'huile sans résine ne garantit pas qu'ils aient tous résisté à des dévernissages anciens effectués avec des solvants forts. Surtout lorsque l'on considère la <em>Ronde de Nuit</em>, qui a connu vingt cinq restaurations toutes époques confondues !</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il est heureusement possible d’observer un certain nombre de glacis préservés sur le <em>Bœuf écorché</em> du Louvre. La laque rouge carmin glacée sur le flanc se transforme en touche épaisse de sang séché. D’autres glacis plus discrets s’entrecroisent, de ton jaune ou de tonalité froide. L’<em>Autoportrait</em> de 1658, de la collection Frick, pourtant privé de tout vernis ancien, fournit l’exemple typique d’un glacis brun jaune posé sur une couche blanche, même à l’endroit de la plus haute lumière sur le col de la chemise. Le glacis y est arraché par endroits, ponctuellement abrasé jusqu’à la couche blanche.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; La volonté démonstrative de M. van de Wetering est donc très troublante. Entre le mythe d’un Rembrandt peignant tout en glacis fragiles et ce nouveau mythe d’une peinture quasiment sans glacis, il y a la réalité de ses surfaces picturales complexes, en évolution au cours de sa carrière, et surtout maltraitées par les restaurations à un degré souvent dramatique {silvertooltip title =" Dans son récent ouvrage consacré à Rembrandt, l’historien de l’art Gary Schwartz ajoute :</p> <p><em>«En fait, pratiquement toutes les peintures reproduites dans </em>[mon]<em> livre</em> [...] <em>devraient</em></p> <p><em> être étiquetées “Rembrandt et les restaurateurs”</em> .» (in <em>Rembrandt’s Universe</em>,</p> <p>Thames and Hudson, 2006, p. 342). Curieusement, cette remarque n’est pas traduite</p> <p>dans l’édition française (<em>Rembrandt</em>, chez Flammarion, 2006)"} (9) {end-silvertooltip}.</p> <p>&nbsp;&nbsp; De plus, en avançant des hypothèses sur la technique picturale d’un artiste, il convient de prendre garde à l’état relatif de nos connaissances. Le médium utilisé par Rembrandt pour obtenir ses empâtements spectaculaires et fort variés a fait l’objet de plusieurs vagues d’analyses. On a d’abord estimé qu’il n’utilisait qu’une huile simple, additionnée parfois de craie (incolore dans l’huile) pour lui donner plus de corps tout en réservant sa transparence (Bomford 1988, White et Kirby 1994). Puis des moyens d’analyse différents ont indentifié de l’œuf en émulsion dans de l’huile (Groen 1997). Ultérieurement, la pertinence de cette détection d’œuf a été mise en doute (White 2006). Actuellement, des chercheurs font l’hypothèse d’un autre élément, dont l’apport serait déterminant : une huile fortement et longuement chauffée, très épaisse, dont Rembrandt devait connaître la recette puisqu’elle servait à fabriquer l’encre d’impression des gravures {silvertooltip title =" S. Belchetz-Swenson et P. Dent Weil, “Rembrandt and burnt plate oil :</p> <p>new observations and proposals on Rembrandt’s painting medium”,</p> <p><em>Art of the Past, Sources and Reconstructions</em>, Archetype Publications, 2005, pp. 107-110"} (10) {end-silvertooltip} .</p> <h3>Dévernissage des Rembrandt</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Le plaidoyer d’Ernst van de Wetering en faveur du dévernissage était déjà une croisade dans son ouvrage de 1997, où il fait l’objet d’un chapitre entier {silvertooltip title =" E. van de Wetering, op. cit. chapitre X, ”The Impact of Time and Rembrandt’s Ideas on Color and Tone”. "} (11) {end-silvertooltip}. On en retiendra cette formule : « […] <em>si l’on met à part les discussions sur les possibles dangers que présente l’utilisation de certains solvants pour la condition physique des couches picturales, nous pouvons soutenir qu’apparemment aucun argument décisif ne peut être avancé contre l’enlèvement d’un vernis jauni sur les peintures de Rembrandt.</em> » (p. 250)</p> <p>&nbsp;&nbsp; L’auteur discute malgré tout plusieurs arguments dont la paternité revient à René Huyghe et qui sont aux fondements de la “doctrine du Louvre” en matière de restauration modérée {silvertooltip title =" R. Huyghe, ”Le problème du dévernissage des peintures anciennes et le Musée du Louvre”,</p> <p><em>Museum</em>, vol III n°3 (1950), que nous avons tenu à republier <em>in extenso</em></p> <p>dans <em>Nuances</em> 29 (2002)."} (12) {end-silvertooltip}. Rappelons brièvement que, pour Huyghe, un vernis ancien ("jauni") conservé sur le tableau, en couche plus ou moins fine, permet de compenser trois problèmes : les <em>usures superficielles</em> subies par l’original (qu'il tempère), les <em>distorsions harmoniques</em> apparues entre des teintes stables et d’autres couleurs fugaces ou altérées par le vieillissement (qu'il atténue), et enfin, le <em>durcissement du contraste&nbsp;</em>entre les valeurs sombres et les claires, apparu avec le temps de manière plus générale encore. Pour contrebalancer ce durcissement, le vernis ancien agit comme le voile d’une patine qui « <em>rétablit l’équilibre rompu des valeurs en rapprochant les blancs teintés des noirs adoucis</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; M. van de Wetering convient de la justesse de ces trois arguments. Mais il note que le premier ne s'appliquera pas pour les tableaux qui n’ont pas subi de nettoyages forts par le passé [or ces cas sont rarissimes en réalité, voir la <em>Ronde de Nuit</em> citée plus haut], et pour le second, il considère que les pigments de Rembrandt « <em>ne paraissent pas</em> » avoir changé de ton [affirmation bien trop générale]. Enfin, il écarte le dernier argument de Huyghe car il estime que les contrastes chez Rembrandt sont (par miracle) inchangés. Et il propose un excellent moyen de le vérifier: la comparaison des peintures de l'artiste avec ses gravures, dont les rapports sombres/clairs serviront de repère puisque leur technique leur épargne les changements qui affectent les couleurs à l'huile.&nbsp;<br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; La comparaison des peintures avec des gravures « <em>parfaitement abouties</em> » lui suggère « <em>comme règle générale</em> » que les parties sombres des peintures ont pu légèrement s’assombrir, mais que « <em>le rapport d’ensemble entre les sombres et les clairs est si bien préservé qu’il est permis de dire que les intentions de Rembrandt à cet égard n’ont pas fondamentalement été déformées par le temps.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Son argument nous intéresse car M. van de Wetering choisit comme exemple la <em>Bethsabée</em>&nbsp;du Louvre de 1654 qu’il met en parallèle avec la <em>Femme devant le poêle</em>, gravure de 1658 (fig. 3 et 4, ci-dessous). Et il constate que la peinture a conservé le même registre de contrastes que la gravure de sujet similaire. La comparaison est absolument probante. Mais justement elle démontre le contraire de la théorie qu'il défend : la similitude tient au fait que le tableau du Louvre a gardé son vernis ancien, légèrement ambré, tel que Huyghe le souhaitait… Si elle était dévernie - comme le prône l'historien hollandais - elle afficherait justement un durcissement des contrastes en désaccord avec la gravure qui témoigne toujours des intentions originales de Rembrandt.</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Betsabee-Fig-3-et-4.gif" mce_src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/Rembrandt-Betsabee-Fig-3-et-4.gif" alt="Rembrandt Bethsabée" title="Rembrandt Bethsabée" mce_style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; margin-right: 50px;" style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; margin-right: 50px;" /></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; L’exercice serait encore plus convainquant si M. van de Wetering avait choisi son document avec davantage d’exigence scientifique. La gravure qu’il reproduit dans son livre n’est en effet pas l’état « parfaitement abouti » annoncé. C’est le premier état (tirage conservé à Amsterdam) qui sera suivi de six autres étapes de travail, au fil desquelles Rembrandt retravaille son image ! Il assombri et réduit les détails du fond, supprime la coiffe blanche du modèle ce qui permet de l'unir plus intiment à l'obscurité de la pièce. Ce fait n’est pas indifférent lorsqu’on cherche à comprendre les intentions de l’artiste : choisir ce premier état équivaut à choisir la première étape d’une peinture, sans se préoccuper des finitions que l'artiste apportera pour achever son œuvre.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Si nous regardons le septième état (fig. 3) nous constatons que le rapport fonctionne en effet parfaitement avec la peinture pourvue de son vernis ancien. La concordance est d'autant plus sensible que ces gravures – M. van de Wetering oublie de le dire ou ne s’y attache pas – ont été imprimées par Rembrandt lui-même, non pas sur un papier européen blanc, mais sur un papier japonais dont la gamme de tonalités d’origine va de l’ivoire ambré au ton chamois. Ce papier était beaucoup plus onéreux et Rembrandt l'a donc choisi pour ses qualités esthétiques: sa tonalité ambrée, qui modère le contraste de l'encre noire sur un papier trop blanc - de même que le vernis doré peut modérer le contraste devenu excessif sur la peinture - et son absorption de l’encre qui produit des tirages « <em>plus adoucis, assourdis.</em> » {silvertooltip title =" Thomas Rassieur, du musée de Boston, dans le catalogue d’une exposition des gravures de Rembrandt :</p> <p>C.S. Ackley, <em>Rembrandt’s Journey : Painter, Draftsman, Etcher</em>, AFA Publications, Museum of Fine Arts, Boston, 2003, p. 55"} (13) {end-silvertooltip}</p> <h3>Le vernis original de Rembrandt</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Ernst van de Wetering fournit donc une excellente raison d’être satisfait de l’état actuel de la <em>Bethsabée</em>.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Lorsque la conservation des œuvres est en jeu, qui engage la responsabilité d’un musée, on ne peut pas se guider sur des théories, ni « <em>mettre à part les possibles dangers</em> » de pénétration des solvants. Il faut à la fois prendre connaissance des peintures les mieux préservées et considérer le cas spécifique de chaque tableau que l’on se propose d’étudier. Dans l’auditorium, nous avions le sentiment d’être revenus cinquante ans en arrière, à une époque où il suffisait de dire “enlevons tous les vernis jaunis et nous retrouverons l’œuvre du maître telle qu’il l’avait créée” et cette impression de caricature était accentuée par la formule de M. van de Wetering au moment où la parole était donnée à la salle : « <em>Il paraît qu’il y a un lobby anti-restauration en France…, si ses membres sont dans la salle, nous aimerions bien les entendre !</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Nous n’avions aucun motif de nous sentir concernés par cette apostrophe polémique, et il nous intéressait bien davantage de poser la question du vernis final utilisé par Rembrandt lui-même.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il est frappant en effet que les avocats du dévernissage complet, présents à l’auditorium, n’aient pas songé à aborder ce point historique primordial. On réclame le dévernissage sans se demander ce que Rembrandt avait voulu et réalisé, sans chercher quel vernis il avait lui-même employé. Cet “oubli” montre que leur position repose sur des préjugés de goûts personnels (dictés par les préférences esthétiques des XXe et XXIe siècles) et non sur une recherche de l’aspect authentique des peintures, tenant compte des matériaux utilisés par l’artiste du Siècle d'Or.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ce même “oubli” a rendu possible durant des décennies l’emploi de vernis synthétiques désastreux sur les peintures anciennes et nous étions étonnés de voir ce point négligé par Ernst van de Wetering, alors qu’il s’était montré, voici une vingtaine d’années, conscient de ces problèmes {silvertooltip title =" E. van de Wetering, ”The surface of Objects and Museum Style” (1981) et</p> <p>”The Autonomy of Restoration : Ethical Considerations in Relation to Artistic Concepts” (1989)</p> <p>republiés dans <em>Historical and Philosophical Isssues in the Conservation of Cultural Heritage</em>,</p> <p>Getty Conservation Institute, 1996"} (14) {end-silvertooltip}.<br />&nbsp;&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Quel type de vernis Rembrandt avait-il pu employer ?</p> <p>&nbsp;&nbsp; Par chance, une mince couche de vernis d’origine de la <em>Ronde de Nuit</em> est parvenue jusqu’à nous, préservée sous un repeint très ancien apposé sur l'œuvre avant la fin du XVIIe siècle : selon Ernst van de Wetering ce vernis de Rembrandt était composé de mastic. Cette indication était incomplète puisque le mastic est simplement une résine, qui peut servir aussi bien pour fabriquer un vernis gras à l’huile qu’un vernis maigre à l’essence. S’agissant un artiste de cette époque, durant laquelle justement les deux types de recettes coexistent, il était primordial de le savoir. Comme nous lui demandions cette précision, l'historien hollandais nous a affirmé qu'il s'agissait de mastic à l'essence.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Toutefois, les services de restauration des peintures du Rijksmuseum nous ont récemment démenti que cet échantillon provenant de la <em>Ronde de Nuit</em> ait jamais été analysé... contrairement à ce que laissait entendre M. van de Wetering.</p> <p>&nbsp;&nbsp; En l'absence d'analyse de cet échantillon, nous devons élargir la recherche au cercle de Rembrandt. L’indication la plus proche est fournie par Samuel van Hoogstraten, qui fut son élève entre 1641 et 1648 : « <em>Notre vernis, composé de térébenthine</em> [de Venise], <em>d’huile</em> [essentielle] <em>de térébenthine, et de mastic en poudre dissous, convient suffisamment à nos oeuvres</em> ».{silvertooltip title =" S. van Hoogstraeten, Inleyding tot de Hooge Schoole der Schilderkonst,</p> <p>Rotterdam 1678 : « Onzen vernis van Terpentijn, terpentijn oly,</p> <p>en gestooten mastix gesmolten, is bequaem genoeg tot onze werken. »</p> <p>Cité par Eastlake, <em>Methods and Materials of Paintings</em>, vol. 1, p.477"} (15) {end-silvertooltip}</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ainsi, en plus de la résine mastic (résine dont le “jaunissement” naturel est assez rapide, totalement prévisible et bien connu des peintres qui l'employaient) ce vernis contient une oléorésine issue du mélèze commun, d'un ton sensiblement jaune-orangé.</p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/rembrandt-venise-mastic.jpg" mce_src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/rembrandt-venise-mastic.jpg" alt="térébenthine de Venise et mastic" title="térébenthine de Venise et mastic" mce_style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; margin-right: 50px;" style="float: left; margin-top: 30px; margin-bottom: 30px; margin-right: 50px;" /></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; Or, de toute évidence les Rembrandt du Louvre comportent actuellement un vernis à l’essence, au mastic ou au dammar, résine très approchante. Ils sont donc déjà pourvus de la couche de finition la plus conforme aux intentions de l’artiste: il n'existe aucune raison, ni historique ni esthétique, valable pour la supprimer.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Lorsque l’on possède une telle indication historique et technique, elle doit s’imposer aux considérations de goût débattues jusqu’ici. Nos lecteurs pourront découvrir dans notre dossier (pages 22 à 33) l’importance que revêt la connaissance des vernis originaux dans une nouvelle approche de la conservation, basée sur l’authenticité.</p> <h3>Etudier les Rembrandt du Louvre</h3> <p>&nbsp;&nbsp; Le Louvre ne s’était pas associé au Rembrandt Research Project lorsque Jacques Foucart était en charge des Ecoles du Nord. Que le musée, avec Blaise Ducos, et le C2RMF commencent d’y contribuer est parfaitement compréhensible.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cette patience a eu ceci de bon que, depuis peu de temps, le C2RMF possède les moyens d’entreprendre les examens les plus fins sans toucher aux peintures. Outre des radiographies sophistiquées (stratiradiographie, émissiographie) et le large éventail des vues sous diverses lumières, qui scrutent la surface ou vont à la recherche des dessins sous-jacents, de nouveaux outils permettent d’étudier la composition des couches colorées sans prélèvement de matière. Le C2RMF vient de démontrer brillamment ce savoir-faire en récoltant une moisson de données scientifiques sur la Joconde, présentées dans un spectaculaire ouvrage : <em>Au cœur de la Joconde</em> {silvertooltip title =" <em>Au cœur de la Joconde, Léonard de Vinci décodé</em>, Gallimard/Musée du Louvre Editions, 2006. "} (16) {end-silvertooltip}. La spectrophotométrie a même permis d’étudier les infimes glacis du sfumato de Léonard.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Il y a dix ans, on pouvait comprendre qu’un expert ait souhaité profiter de&nbsp;“l’occasion” d’une restauration, qui lui donnait « <sem></sem>le meilleur accès possible aux couches de peinture originales {silvertooltip title =" E. van de Wetering, 1997, op. cit. p. 234."} (17) {end-silvertooltip}. » Mais aujourd’hui la recherche n’a plus besoin d’une restauration pour progresser.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Le Rembrandt Research Project se consacre aux attributions, une activité à part entière, dont les conclusions sont fluctuantes et révisables.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Une chose est d’élaborer des théories sur le travail d’un artiste, qui pourront être remplacées par des théories&nbsp;différentes ; autre chose est d’assurer la conservation de ses œuvres irremplaçables.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Michel Favre-Félix</p> <p><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;">version révisée 07/12/2012</span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>NOTES :</p> <p>&nbsp;</p> <p>(1) Le RRP est un programme collégial d’expertise des attributions à Rembrandt, débuté en 1968. Il a déjà publié plusieurs volumes de son catalogue raisonné : <em>A Corpus of Rembrandt Paintings</em>, vol I (1982), vol II (1986), vol III (1990), vol IV (2005), vol V (à venir).</p> <p>(2) E. van de Wetering, <em>Rembrandt, The Painter at Work</em>, Amsterdam University Press, 1997. Voir son chapitre VI, pp. 133-152.</p> <p>(3) G. Schwartz, <em>Rembrandt’s Universe</em>, Thames &amp; Hudson, 2006, p.89.</p> <p>(4) A. Roy et J. Kirby, “Rembrandt’s palette”, <em>Art in the Making : Rembrandt</em>, National Gallery Compagny, 2006, p. 36.</p> <p>(5) M. Doerner, <em>Malmaterial und seine Verwendung im Bilde</em>, 1922. Max Doerner, peintre et professeur, fonda en 1937 l’institut qui porte encore son nom, afin d’étudier les techniques des maîtres anciens en les expérimentant dans la pratique (aujourd’hui institut de conservation-restauration et de recherche à Munich).</p> <p>(6) Voir notament <em>Personal Viewpoints, Thoughts about Painting Conservation</em>, Getty Conservation Institute, 2003.</p> <p>(7) Pour plus de détails, R.D. Harley, <em>Artists’ Pigments c. 1660-1835, A Study in English Documentary Sources</em>, Archetype Publications, 2001, pp. 107-114.</p> <p>(8) D. Bomford, J. Kirby, et al., “Rembrandt’s painting materials and methods”, <em>Art in the Making : Rembrandt</em>, 2006, pp. 43-44.</p> <p>(9) Dans son récent ouvrage consacré à Rembrandt, l’historien de l’art Gary Schwartz ajoute : « <em>En fait, pratiquement toutes les peintures reproduites dans</em> [mon] <em>livre</em> [...] <em>devraient être étiquetées “Rembrandt et les restaurateurs” </em>.» (<em>Rembrandt’s Universe</em>, Thames and Hudson, 2006, p. 342). Curieusement, cette remarque n’est pas traduite dans l’édition française (<em>Rembrandt</em> chez Flammarion, 2006).</p> <p>(10) S. Belchetz-Swenson et P. Dent Weil, “Rembrandt and burnt plate oil : new observations and proposals on Rembrandt’s painting medium“, <em>Art of the Past, Sources and Reconstructions</em>, Archetype Publications, 2005, pp. 107-110.</p> <p>(11) E. van de Wetering, op. cit. chapitre X, “The Impact of Time and Rembrandt’s Ideas on Color and Tone”.</p> <p>(12) R. Huyghe, “Le problème du dévernissage des peintures anciennes et le Musée du Louvre”, <em>Museum</em>, vol III n°3 (1950), que nous avons tenu à republier <em>in extenso</em> dans <em>Nuances</em> 29 (2002).</p> <p>(13) Thomas Rassieur, du musée de Boston, dans le catalogue d’une exposition des gravures de Rembrandt : C.S. Ackley, <em>Rembrandt’s Journey : Painter, Draftsman, Etcher</em>. AFA Publications, Museum of Fine Arts, Boston, 2003, p. 55.</p> <p>(14) E. van de Wetering, "The surface of Objects and Museum Style” (1981) et “The Autonomy of Restoration : Ethical Considerations in Relation to Artistic Concepts” (1989) republiés dans <em>Historical and Philosophical Isssues in the Conservation of Cultural Heritage</em>, Getty Conservation Institute, 1996.</p> <p>(15) S. van Hoogstraeten, <em>Inleyding tot de Hooge Schoole der Schilderkonst</em>, Rotterdam 1678 : « Onzen vernis van Terpentijn, <em>terpentijn oly, en gestooten mastix gesmolten, is bequaem genoeg tot onze werken. » Cité par Eastlake, Methods and Materials of Paintings</em>, vol. 1, p.477.</p> <p>(16) <em>Au cœur de la Joconde, Léonard de Vinci décodé</em>, Gallimard/Musée du Louvre Editions, 2006.</p> <p>(17) E. van de Wetering, 1997, op. cit. p. 234.</p> Titien était-il incohérent ? 2011-12-09T16:51:49Z 2011-12-09T16:51:49Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/56-artistes/80-titien-etait-il-incoherent.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="border-style: initial; border-color: initial; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 9px; vertical-align: baseline; color: #ffffff; border-width: 0px; padding: 0px; margin: 0px;">blanc</span></p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/danae-detail-2.jpg" alt="danae-detail-2" title="Titien était-il incohérent ?" /></p> <p><span style="color: #660033; font-family: georgia; font-size: 19pt;">Le Titien était-il incohérent ?</span></p> <p><span style="border-style: initial; border-color: initial; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 9px; vertical-align: baseline; color: #808080; border-width: 0px; padding: 0px; margin: 0px;">........</span></p> <p>La découverte de «velature» dorées originales, exceptionnellement intactes sur de larges zones de la <em>Danae</em> du Titien, oblige à une remise en question. Elles contredisent les résultats des restaurations qui se sont appliquées avec zèle à ”purifier” les tableaux du maître vénitien de toute couches superficielles similaires.</p> <p><span style="border-style: initial; border-color: initial; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 9px; vertical-align: baseline; color: #808080; border-width: 0px; padding: 0px; margin: 0px;">par Alexandre ZAFIROPULO</span></p> <p><span style="border-style: initial; border-color: initial; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 9px; vertical-align: baseline; color: #ffffff; border-width: 0px; padding: 0px; margin: 0px;">blanc</span></p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/danae-detail-2.jpg" alt="danae-detail-2" title="Titien était-il incohérent ?" /></p> <p><span style="color: #660033; font-family: georgia; font-size: 19pt;">Le Titien était-il incohérent ?</span></p> <p><span style="border-style: initial; border-color: initial; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 9px; vertical-align: baseline; color: #808080; border-width: 0px; padding: 0px; margin: 0px;">........</span></p> <p>La découverte de «velature» dorées originales, exceptionnellement intactes sur de larges zones de la <em>Danae</em> du Titien, oblige à une remise en question. Elles contredisent les résultats des restaurations qui se sont appliquées avec zèle à ”purifier” les tableaux du maître vénitien de toute couches superficielles similaires.</p> <p><span style="border-style: initial; border-color: initial; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 9px; vertical-align: baseline; color: #808080; border-width: 0px; padding: 0px; margin: 0px;">par Alexandre ZAFIROPULO</span></p>