ARIPA - Les articles de Nuances classés par thèmes - Débats sur la Restauration ARIPA - Réexamens critiques de restaurations de peintures, à partir des dossiers scientifiques des musées de France, études sur les techniques picturales anciennes, analyses et propositions sur la déontologie, les théories et les pratiques de la restauration. http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/61-les-debats-sur-la-restauration.feed 2024-05-07T06:35:56Z Joomla! 1.5 - Open Source Content Management Débat au Louvre décembre 2002 (1) Présentation 2011-03-14T12:02:48Z 2011-03-14T12:02:48Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/61-les-debats-sur-la-restauration/159-debat-au-louvre-decembre-2002-presentation.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Nuances 31 (2003/1) – pp. 3-6</span></span></span></p> <h2>Un débat au Louvre (12/2002)<br />Présentation et commentaires</h2> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;">par Michel FAVRE-FÉLIX</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p><em>Pour la première fois un débat contradictoire sur les nécessités et les choix de restauration avait lieu, à l’auditorium du Louvre en décembre 2002. La participation de James Beck et de James Bloedé, ainsi que la diversité des autres interventions, donnait la mesure de l’évolution amorcée à cette date.</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p>&nbsp;&nbsp; Il n’y a pas de doute, les rencontres des 6 et 7 décembre 2002 se proposaient bien de réfléchir sur la restauration actuelle, et, cette fois, autant sur les critiques qu’elle peut susciter que sur ses justifications.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Dès l’ouverture, Daniel Arasse, historien, spécialiste de la peinture de la Renaissance italienne, co-directeur de ce colloque avec Jean-René Gaborit, conservateur en chef du département des sculptures, a expliqué son intitulé : « Pourquoi restaurer les œuvres d’art ? »</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>Si l’on a choisi la restauration, c’est évidemment parce que le thème, et sa pratique, sont l’objet de débats, actuellement particulièrement vifs.</em> [. . . ] <em>Il nous a paru bon de consacrer deux jours à ces débats, avec, à la fois, les explications, les clarifications des restaurateurs et des conservateurs sur la politique de restauration, et également en donnant la parole aux “adversaires” – je mets ce terme entre guillemets – de la restauration</em> » ; puis d’ajouter : « <em>Si cela nous a paru bon, c’est que le débat sur la restauration est tout à fait légitime.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; La participation officielle de James Beck devait en témoigner, marquant un changement important, puisqu’il y a trois ans de cela, Jean-René Gaborit s’était opposé à la venue de l’historien américain, alors que celui-ci était pressenti pour une conférence dans cet auditorium. La présence de James Bloedé, à l’invitation d’Henry Loyrette, successeur de Pierre Rosenberg à la direction du Louvre, n’est pas moins significative.<br /> Enfin cette ouverture de l’institution sur l’extérieur est tout à l’honneur des responsables du cycle “Musée-musées” de l’Auditorium qui ont accueilli et mis en œuvre l’ensemble des conférences et des échanges avec le public..</p> <p>&nbsp;&nbsp; Rendre compte de l’ensemble de ces journées (soit près de douze heures) n’est pas notre ambition. Certains ont regretté que la succession des exposés, alternant avec les discussions des tables rondes animées par Jean Daive, de France Culture, n’ait pas pris l’allure d’un “véritable” débat. Reconnaissons plutôt que l’exercice était difficile et que ce déroulement, sans doute trop parallèle, des discours, devait être une étape indispensable.<br /> Puisque nous présentons intégralement, dans ce numéro, les contributions de René Henri Marijnissen, de James Beck et, partiellement, celle de James Bloedé, il nous a paru intéressant de parcourir transversalement ces journées et d’entretenir les idées les plus neuves.</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Jean-Pierre Cuzin (conservateur général) &nbsp;- &nbsp;Une politique du Louvre ?</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp; En l’absence – pour le moins, surprenante – de Jean-Pierre Mohen, directeur du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, il est revenu à Jean-Pierre Cuzin le soin de présenter les orientations générales de la restauration sinon dans les musées français, du moins au Louvre et dans le département des peintures dont il est le conservateur en chef. De son propos, assez libre et informel, ressortent plusieurs points. Des points tellement proches de nos positions que l’on pouvait se demander parfois pourquoi une étroite collaboration n’était pas déjà engagée entre nous.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Partant d’une définition de la restauration terriblement prudente – « <em>Il s’agit de trouver un autre équilibre, qui ne sera jamais l’équilibre d’origine, le but étant toujours de respecter l’artiste, la création, et de ne pas prétendre nier le temps qui passe.</em> » –<br />il s’est avancé plus loin en fixant plusieurs principes : « <em>Ne jamais supprimer une restauration ancienne par principe, dans le cas où elle peut s’intégrer – mais cela les restaurateurs le savent bien. Respecter la création, ce peut être aussi respecter les restaurateurs précédents, à un ou deux siècles de distance, et admirer leur travail.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Si elle devait être appliquée, une telle orientation – presque ruskinienne – marquerait la fin de cette règle, quasi automatique durant les années 80 et 90, de purification de la couche picturale. Les retouches bien intégrées se rencontrent dans les sculptures – parfois dans les peintures, mais l’huile pose un autre problème : de par la nature de l’huile qui fréquemment les compose,les retouches anciennes s’assombrissent et,<br />assez souvent, ne sont justement plus intégrées. Il serait important d’adopter dans ce cas une attitude inverse, quoique aussi respectueuse. Elle consisterait à se restreindre au seul enlèvement ponctuel des retouches assombries. Ainsi, tout le reste de la surface picturale serait-il préservé et nous réduirions de beaucoup le nombre des dévernissages qu’on impose encore aux tableaux tout entiers, au seul motif du vieillissement de quelques retouches.</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>Un autre principe : ne pas restaurer systématiquement des pans entiers de la collection d’un musée. Ne pas être systématique, comme on l’a vu dans le cas –<br />disons-le – de certains grands musées de province français, dont l’ensemble des collections a été restauré pour une date X.</em> »<br />Les conservateurs de ces musées de province pensaient jusqu’ici faire un excellent travail. Il se peut qu’un tel avis les engage à réfléchir et que,n’ayant pas d’intérêt à se voir désapprouvés, ils deviennent moins interventionnistes.</p> <p>&nbsp;&nbsp; A d’autres reprises, Jean-Pierre Cuzin a rompu ce tabou qui empêchait un conservateur de mettre en cause quelque restauration que ce fût.<br />Estimant que depuis plusieurs années il y avait une tendance générale à trop nettoyer les tableaux, particulièrement sur le marché de l’art, il pouvait aussi critiquer les institutions étrangères, nommément : la National Gallery de Londres, le Kunsthistorishe de Vienne, et « <em>quelquefois maintenant au Prado</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Une dernière réflexion du conservateur a retenu notre attention, d’autant plus que nous nous apprêtions à publier le texte d’Alain Besançon sur le sujet, celui du goût.</p> <p>« <em>Les appréciations, les décisions, sont affaires de goût. De goût, mais j’emploie le terme dans son sens fort et positif. C’est une affaire d’oeil et seule la connaissance intime de l’œuvre d’un artiste peut guider.</em> [. . . ] <em>C’est très dangereux de dire cela, parce que c’est une appréciation qui paraît très subtile.</em> [. . . ] <em>Le tableau doit rester un organisme cohérent, équilibré. Il ne doit plus être ce que sont quelquefois les tableaux restaurés.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Très dangereuse en effet, pour la raison qu’elle n’est aujourd’hui plus comprise, cette notion de goût a joué pourtant un rôle essentiel par le passé. On pourrait la définir comme capacité de discernement esthétique. A l’inverse d’un goût personnel, qui est un ensemble de préférences, ou d’un goût d’époque, qui est un répertoire de conventions esthétiques, plus ou moins formalisées (le “bon goût” n’en étant qu’une variété), le goût, au sens fort,est essentiellement une aptitude, une capacité de jugement,de distinction des beautés et des défauts d’une œuvre. Delacroix disait que le goût est ce « <em>qui fait deviner le beau où il est</em> ».</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Gérard Wajcmann (Université Paris VIII) - &nbsp;Un désir d’éternité ?</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp; L’intervention du psychanalyste Gérard Wajcman reste probablement la plus inattendue dans ce colloque. Y voir une position anti-restauration serait mal comprendre. L’auteur, responsable du séminaire de psychanalyse et esthétique à l’université Paris VIII, s’interroge sur le sens que la restauration tend à prendre dans notre société (et, plus exactement, la conservation-restauration. Même s’il n’emploie pas ce terme, c’est à cette nouvelle qualification que s’applique son analyse, ce qui lui donne d’ailleurs une extrême pertinence).</p> <p>&nbsp;&nbsp; En premier lieu, Gérard Wajcman constate qu’en se vouant à prolonger l’existence de l’œuvre, par principe le plus longtemps possible, la restauration est « <em>hantée par un désir d’éternisation</em> ». Or la restauration dans son sens moderne, remarque-t-il, s’est constituée de la rencontre de l’Art et de la Science – « <em>C’est dans la science que la restauration puise ce pouvoir d’éterniser</em> » – et reçoit en écho un fantasme de la science elle-même, qui est de pouvoir réussir effectivement à éterniser les choses grâce aux moyens de la technique. Wajcman observe un effet de substitution qui travaille non seulement la restauration, mais à travers elle, je crois, un pan entier de notre rapport au patrimoine.</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>Il me semble qu’il y a une logique dans la restauration qui tend à substituer l’Eternité à l’Universel. Ou à vouloir accomplir l’essence universelle de l’art dans l’éternisation de l’objet. Or si l’universalité est une question d’art, l’éternisation est à la fois un fantasme des sujets, de la science et aussi, je crois, une idée religieuse.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Gérard Wajcman explore un domaine encore plus obscur lorsqu’il s’interroge sur notre impossibilité à admettre la mort naturelle des œuvres d’art, à les laisser mourir, notre désir, historiquement récent, de tout conserver. Si la perte de la tradition artistique est sans doute l’une des origines de cette panique, le psychanalyste, lui, s’intéresse à ses conséquences. Comme à cette cage de verre, offerte par American Express, pour protéger L’Agneau Mystique des Van Eyck, et supposée résister à une déflagration nucléaire : « <em>Ainsi, il n’y aura plus d’église Saint-Bavon, plus de Belgique, plus d’Amérique et plus d’American Express, qu’il y aura encore L’Agneau Mystique des Van Eyck.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ce comble de la conservation sans spectateur (autre que Dieu ?) est l’autre forme de l’éternisation, plus quotidienne, que propose la restauration. En dernier lieu, Wajcman remarque encore que notre société rend un culte à l’objet d’art éternisé dans le même temps où elle multiplie les objets jetables. « <em>Je dirais qu’on restaure et qu’on conserve d’autant plus dans les musées qu’on jette de plus en plus dans nos poubelles domestiques.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>Le visiteur met des lentilles de vue qu’il jettera le soir même, pour aller voir au musée des œuvres d’art éternelles.</em> » Dans cette jolie observation, il y a plus que la description d’un symptôme moderne. Elle nous fait comprendre que ces œuvres d’art ne viennent pas seulement d’un autre temps, mais d’un autre monde, d’un autre rapport au monde.</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Daniel Arasse (historien de l’art) &nbsp;- &nbsp;Quel sens donner au débat ?</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp; La légitimité d’un débat était évidente – nous l’avons dit – pour Daniel Arasse.<br />Il en donnait même les principales raisons : les controverses devraient protéger de tout dogmatisme, et les œuvres des musées sont un bien commun – ce qui implique que le public « <em>a le droit– je dirais même – a le devoir de regard, de critique, et surtout le devoir de demander des comptes aux gens qui opèrent ce travail sur les œuvres.</em> »<br />Dans la seconde journée, Jean-Pierre Cuzin l’a réaffirmé sous une autre forme :<br />« <em>Je crois que toutes les critiques sont utiles. Y compris celle des peintres, et peut-être surtout celles des peintres.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cependant, très vite, les deux historiens exprimaient, paradoxalement, la plus grande difficulté à comprendre quelles pouvaient bien être les raisons des critiques.</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>J’aimerais essayer de mieux comprendre, en particulier, la position des adversaires de la restauration. A part les arguments de l’oeil, de la qualité, de la sensibilité, qui sont des arguments d’autorité que je ne peux pas, bien sûr, accepter, et à part aussi le fait que toute restauration mauvaise est une mauvaise restauration et n’est pas une restauration du tout – à part cela, tout ce que j’ai pu entendre ce matin montre qu’il y a vraiment un respect de l’œuvre, une déontologie qui s’est établie. J’aimerais comprendre pourquoi il y a toujours une hostilité, parfois sauvage, à l’égard de la restauration.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Autrement dit, si le principe d’une controverse est jugé sain – s’il est un droit, et même un devoir –, l’objet d’une controverse demeure, quant à lui, inexplicable, sans justification. Du moins sans justification autre que passionnelle et subjective. Je crois que cette difficulté à comprendre n’est sûrement pas feinte, et que le souhait de comprendre est certainement sincère. C’est pourquoi je voudrais ouvrir ici une parenthèse pour essayer d’éclaircir ce sujet.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Daniel Arasse a fourni, en fait, des éléments qui permettent de cerner le malentendu. &nbsp; &nbsp;Les voici en trois points.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Si l’on part du principe que l’on a en face de soi des « <em>adversaires</em> » de la restauration – et mettre le terme entre guillemets par courtoisie ne change pas grand chose – on ne pourra jamais concevoir le sens de ce qu’ils disent. On admettra juste qu’il existe une position “anti-restauration”, aussi curieuse et stérile qu’un parti pris “anti-médecine”.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Or, ce n’est pas d’<em>adversaires</em> de <em>la restauration</em> qu’il s’agit mais de <em>critiques de restaurations</em>. Cette distinction est essentielle. Elle a tout son sens dans le travail universitaire que connaît bien l’historien. Elle est fondamentale dans la démocratie elle-même.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ce premier point en éclaire un second. Lorsque Daniel Arasse met “à part les mauvaises restaurations”, il supprime, de sa propre initiative, toute raison aux critiques. Il ne peut pas ensuite s’étonner de ne plus en trouver. Déclarer que toute mauvaise restauration n’est, en réalité, pas une restauration du tout –c’est-à-dire qu’elle est un rafistolage ou un maquillage mais pas une restauration – est un sophisme. Il suppose bien sûr un premier axiome sous-entendu : 1) Toute restauration est bonne ; 2) celle-ci est mauvaise ; 3) donc ce n’est pas une restauration.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Mais, si c’est un sophisme, néanmoins, c’est une bonne réflexion. En effet,<br />la restauration tient sa définition– à un moment donné – des limites qu’elle se fixe.<br />Une parfaite restauration “de style”, réalisée par Viollet-le-Duc ou par ses élèves, sera aujourd’hui considérée comme une reconstitution hypothétique,une reconstruction fantaisiste, mais justement pas comme une restauration. La retouche d’un professionnel du XIXe siècle, sera nommée “surpeint” et non restauration.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ici, l’historien devrait se souvenir du rôle des critiques. C’est à Ruskin que l’on doit une critique du travail de Viollet-le-Duc, qui a permis, bien plus tard, dans la Charte de Venise, de retrancher la reconstitution hypothétique du domaine de la restauration. De la critique de Ruskin, nous vient aussi la notion d’authenticité, mise en valeur dans la récente Charte de Cracovie. C’est encore la critique des nettoyages anglais par Brandi qui sous-tend sa définition de la restauration dans la Teoria del Restauro.</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Le jugement de l’œil, accordé aux restaurateurs mais refusé aux critiques ?</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp; Cette position exige à l’inverse que les critiques soient argumentées. Nous rejoignons le troisième point. Les arguments de l’oeil (lequel jugerait d’une restauration), ceux de la qualité ou de la sensibilité, sont récusés par Daniel Arasse, parce que ce sont des arguments d’autorité. Dans le cadre d’un débat, je peux le comprendre. Force est de reconnaître que l’autoritas n’est plus le fondement de la politique, ni de l’éducation – ainsi que l’a parfaitement analysé Hannah Arendt – ni, en grande partie, de notre rapport à la culture.</p> <p>&nbsp;&nbsp; L’historien ajoute encore foi au témoignage de Pline l’Ancien sur un tableau d’Aristide, au jugement de Goya sans doute, de Delacroix peut-être, mais il ne reconnaît plus l’autorité du peintre vivant. Mais nous savons que pour progresser sans le recours de l’autorité ancienne, nous devons précisément nous astreindre à exercer notre esprit critique. Nous n’avons que cette alternative. Et au moins aurons-nous soin de ne pas substituer à l’autorité du peintre, en quoi nous ne croyons plus, une confiance sans critique dans le laboratoire ou le musée. A bien des égards, ceux-ci sont les nouveaux modèles d’autorités, dont il est devenu aussi inconvenant de discuter les affirmations que pour un scolastique de mettre en doute Thomas d’Aquin.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Un autre malentendu s’ajoute au précédent. Je conçois très bien que le simple jugement de l’oeil, ou que la qualité picturale et sensible d’une œuvre comparée avant-après une restauration, ne soient pas acceptés au titre d’arguments prépondérants. Mais cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas place dans un débat. En effet, le restaurateur, quant à lui, est bien chargé, en examinant un état avant, de reconnaître les qualités picturales qu’il devra respecter. Il doit aussi discerner des qualités de l’œuvre qu’il pourrait en outre récupérer, grâce à son intervention, dans un état après dont il doit se faire une idée.</p> <p>&nbsp;&nbsp; C’est bien l’oeil du restaurateur, et nul autre instrument, qui guide sa main, puis l’arrête avant qu’un dévernissage ne soit trop poussé. C’est enfin avec une “mesure de sensibilité” qu’il lui faut doser ses retouches. Jean-Pierre Cuzin ne disait pas autre chose dans sa conférence en définissant les vertus du bon restaurateur: « <em>Qualité de l’oeil, de la sensibilité, et connaissance intime des artistes</em> [qu’il traite] ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Pourquoi, alors, la sensibilité, l’acuité de l’oeil, le discernement des qualités picturales, qui sont autant d’outils effectifs dans le travail du restaurateur, ne seraient-ils, subitement, plus des outils acceptables dans le travail du critique ? Comment peut-on récuser pour l’un, les moyens de jugement que l’on vient d’exiger, pour l’autre?</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ecarter toute évaluation esthétique n’est qu’une autre forme de l’empirisme en restauration. Dans ces conditions, il ne serait plus possible de comprendre Brandi lorsqu’il impose au restaurateur de ne pas mettre en avant la « <em>jactance de la matière</em> » au détriment de l’image, notion fondamentale dans sa Teoria, qui réclame pourtant un jugement de l’oeil.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cette question – en réalité assez complexe – ne peut pas être éludée dans le cours d’un débat. Il m’est arrivé plusieurs fois de visiter des musées et des expositions en compagnie de restaurateurs. Et j’ai dû reconnaître que leur oeil faisait d’eux des critiques beaucoup plus sévères que moi. Face à des œuvres récemment restaurées,<br />ils savaient parfaitement discerner quel traitement elles avaient subi et quelles dégradations en étaient résultées.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Terminons sur une intervention de Daniel Arasse qui a dénoncé l’usage du terme “lisibilité” – si souvent employé pour justifier les restaurations – comme impropre à circonscrire le genre de regard exigé par les œuvres d’art et, par conséquent, infondé en tant que critère de restauration. Monsieur Cuzin en a convenu immédiatement mais non pas les conférenciers italiens présents à cette tribune.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Michel Favre-Félix</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Nuances 31 (2003/1) – pp. 3-6</span></span></span></p> <h2>Un débat au Louvre (12/2002)<br />Présentation et commentaires</h2> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;">par Michel FAVRE-FÉLIX</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p><em>Pour la première fois un débat contradictoire sur les nécessités et les choix de restauration avait lieu, à l’auditorium du Louvre en décembre 2002. La participation de James Beck et de James Bloedé, ainsi que la diversité des autres interventions, donnait la mesure de l’évolution amorcée à cette date.</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p>&nbsp;&nbsp; Il n’y a pas de doute, les rencontres des 6 et 7 décembre 2002 se proposaient bien de réfléchir sur la restauration actuelle, et, cette fois, autant sur les critiques qu’elle peut susciter que sur ses justifications.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Dès l’ouverture, Daniel Arasse, historien, spécialiste de la peinture de la Renaissance italienne, co-directeur de ce colloque avec Jean-René Gaborit, conservateur en chef du département des sculptures, a expliqué son intitulé : « Pourquoi restaurer les œuvres d’art ? »</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>Si l’on a choisi la restauration, c’est évidemment parce que le thème, et sa pratique, sont l’objet de débats, actuellement particulièrement vifs.</em> [. . . ] <em>Il nous a paru bon de consacrer deux jours à ces débats, avec, à la fois, les explications, les clarifications des restaurateurs et des conservateurs sur la politique de restauration, et également en donnant la parole aux “adversaires” – je mets ce terme entre guillemets – de la restauration</em> » ; puis d’ajouter : « <em>Si cela nous a paru bon, c’est que le débat sur la restauration est tout à fait légitime.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; La participation officielle de James Beck devait en témoigner, marquant un changement important, puisqu’il y a trois ans de cela, Jean-René Gaborit s’était opposé à la venue de l’historien américain, alors que celui-ci était pressenti pour une conférence dans cet auditorium. La présence de James Bloedé, à l’invitation d’Henry Loyrette, successeur de Pierre Rosenberg à la direction du Louvre, n’est pas moins significative.<br /> Enfin cette ouverture de l’institution sur l’extérieur est tout à l’honneur des responsables du cycle “Musée-musées” de l’Auditorium qui ont accueilli et mis en œuvre l’ensemble des conférences et des échanges avec le public..</p> <p>&nbsp;&nbsp; Rendre compte de l’ensemble de ces journées (soit près de douze heures) n’est pas notre ambition. Certains ont regretté que la succession des exposés, alternant avec les discussions des tables rondes animées par Jean Daive, de France Culture, n’ait pas pris l’allure d’un “véritable” débat. Reconnaissons plutôt que l’exercice était difficile et que ce déroulement, sans doute trop parallèle, des discours, devait être une étape indispensable.<br /> Puisque nous présentons intégralement, dans ce numéro, les contributions de René Henri Marijnissen, de James Beck et, partiellement, celle de James Bloedé, il nous a paru intéressant de parcourir transversalement ces journées et d’entretenir les idées les plus neuves.</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Jean-Pierre Cuzin (conservateur général) &nbsp;- &nbsp;Une politique du Louvre ?</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp; En l’absence – pour le moins, surprenante – de Jean-Pierre Mohen, directeur du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, il est revenu à Jean-Pierre Cuzin le soin de présenter les orientations générales de la restauration sinon dans les musées français, du moins au Louvre et dans le département des peintures dont il est le conservateur en chef. De son propos, assez libre et informel, ressortent plusieurs points. Des points tellement proches de nos positions que l’on pouvait se demander parfois pourquoi une étroite collaboration n’était pas déjà engagée entre nous.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Partant d’une définition de la restauration terriblement prudente – « <em>Il s’agit de trouver un autre équilibre, qui ne sera jamais l’équilibre d’origine, le but étant toujours de respecter l’artiste, la création, et de ne pas prétendre nier le temps qui passe.</em> » –<br />il s’est avancé plus loin en fixant plusieurs principes : « <em>Ne jamais supprimer une restauration ancienne par principe, dans le cas où elle peut s’intégrer – mais cela les restaurateurs le savent bien. Respecter la création, ce peut être aussi respecter les restaurateurs précédents, à un ou deux siècles de distance, et admirer leur travail.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Si elle devait être appliquée, une telle orientation – presque ruskinienne – marquerait la fin de cette règle, quasi automatique durant les années 80 et 90, de purification de la couche picturale. Les retouches bien intégrées se rencontrent dans les sculptures – parfois dans les peintures, mais l’huile pose un autre problème : de par la nature de l’huile qui fréquemment les compose,les retouches anciennes s’assombrissent et,<br />assez souvent, ne sont justement plus intégrées. Il serait important d’adopter dans ce cas une attitude inverse, quoique aussi respectueuse. Elle consisterait à se restreindre au seul enlèvement ponctuel des retouches assombries. Ainsi, tout le reste de la surface picturale serait-il préservé et nous réduirions de beaucoup le nombre des dévernissages qu’on impose encore aux tableaux tout entiers, au seul motif du vieillissement de quelques retouches.</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>Un autre principe : ne pas restaurer systématiquement des pans entiers de la collection d’un musée. Ne pas être systématique, comme on l’a vu dans le cas –<br />disons-le – de certains grands musées de province français, dont l’ensemble des collections a été restauré pour une date X.</em> »<br />Les conservateurs de ces musées de province pensaient jusqu’ici faire un excellent travail. Il se peut qu’un tel avis les engage à réfléchir et que,n’ayant pas d’intérêt à se voir désapprouvés, ils deviennent moins interventionnistes.</p> <p>&nbsp;&nbsp; A d’autres reprises, Jean-Pierre Cuzin a rompu ce tabou qui empêchait un conservateur de mettre en cause quelque restauration que ce fût.<br />Estimant que depuis plusieurs années il y avait une tendance générale à trop nettoyer les tableaux, particulièrement sur le marché de l’art, il pouvait aussi critiquer les institutions étrangères, nommément : la National Gallery de Londres, le Kunsthistorishe de Vienne, et « <em>quelquefois maintenant au Prado</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Une dernière réflexion du conservateur a retenu notre attention, d’autant plus que nous nous apprêtions à publier le texte d’Alain Besançon sur le sujet, celui du goût.</p> <p>« <em>Les appréciations, les décisions, sont affaires de goût. De goût, mais j’emploie le terme dans son sens fort et positif. C’est une affaire d’oeil et seule la connaissance intime de l’œuvre d’un artiste peut guider.</em> [. . . ] <em>C’est très dangereux de dire cela, parce que c’est une appréciation qui paraît très subtile.</em> [. . . ] <em>Le tableau doit rester un organisme cohérent, équilibré. Il ne doit plus être ce que sont quelquefois les tableaux restaurés.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Très dangereuse en effet, pour la raison qu’elle n’est aujourd’hui plus comprise, cette notion de goût a joué pourtant un rôle essentiel par le passé. On pourrait la définir comme capacité de discernement esthétique. A l’inverse d’un goût personnel, qui est un ensemble de préférences, ou d’un goût d’époque, qui est un répertoire de conventions esthétiques, plus ou moins formalisées (le “bon goût” n’en étant qu’une variété), le goût, au sens fort,est essentiellement une aptitude, une capacité de jugement,de distinction des beautés et des défauts d’une œuvre. Delacroix disait que le goût est ce « <em>qui fait deviner le beau où il est</em> ».</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Gérard Wajcmann (Université Paris VIII) - &nbsp;Un désir d’éternité ?</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp; L’intervention du psychanalyste Gérard Wajcman reste probablement la plus inattendue dans ce colloque. Y voir une position anti-restauration serait mal comprendre. L’auteur, responsable du séminaire de psychanalyse et esthétique à l’université Paris VIII, s’interroge sur le sens que la restauration tend à prendre dans notre société (et, plus exactement, la conservation-restauration. Même s’il n’emploie pas ce terme, c’est à cette nouvelle qualification que s’applique son analyse, ce qui lui donne d’ailleurs une extrême pertinence).</p> <p>&nbsp;&nbsp; En premier lieu, Gérard Wajcman constate qu’en se vouant à prolonger l’existence de l’œuvre, par principe le plus longtemps possible, la restauration est « <em>hantée par un désir d’éternisation</em> ». Or la restauration dans son sens moderne, remarque-t-il, s’est constituée de la rencontre de l’Art et de la Science – « <em>C’est dans la science que la restauration puise ce pouvoir d’éterniser</em> » – et reçoit en écho un fantasme de la science elle-même, qui est de pouvoir réussir effectivement à éterniser les choses grâce aux moyens de la technique. Wajcman observe un effet de substitution qui travaille non seulement la restauration, mais à travers elle, je crois, un pan entier de notre rapport au patrimoine.</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>Il me semble qu’il y a une logique dans la restauration qui tend à substituer l’Eternité à l’Universel. Ou à vouloir accomplir l’essence universelle de l’art dans l’éternisation de l’objet. Or si l’universalité est une question d’art, l’éternisation est à la fois un fantasme des sujets, de la science et aussi, je crois, une idée religieuse.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Gérard Wajcman explore un domaine encore plus obscur lorsqu’il s’interroge sur notre impossibilité à admettre la mort naturelle des œuvres d’art, à les laisser mourir, notre désir, historiquement récent, de tout conserver. Si la perte de la tradition artistique est sans doute l’une des origines de cette panique, le psychanalyste, lui, s’intéresse à ses conséquences. Comme à cette cage de verre, offerte par American Express, pour protéger L’Agneau Mystique des Van Eyck, et supposée résister à une déflagration nucléaire : « <em>Ainsi, il n’y aura plus d’église Saint-Bavon, plus de Belgique, plus d’Amérique et plus d’American Express, qu’il y aura encore L’Agneau Mystique des Van Eyck.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ce comble de la conservation sans spectateur (autre que Dieu ?) est l’autre forme de l’éternisation, plus quotidienne, que propose la restauration. En dernier lieu, Wajcman remarque encore que notre société rend un culte à l’objet d’art éternisé dans le même temps où elle multiplie les objets jetables. « <em>Je dirais qu’on restaure et qu’on conserve d’autant plus dans les musées qu’on jette de plus en plus dans nos poubelles domestiques.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>Le visiteur met des lentilles de vue qu’il jettera le soir même, pour aller voir au musée des œuvres d’art éternelles.</em> » Dans cette jolie observation, il y a plus que la description d’un symptôme moderne. Elle nous fait comprendre que ces œuvres d’art ne viennent pas seulement d’un autre temps, mais d’un autre monde, d’un autre rapport au monde.</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Daniel Arasse (historien de l’art) &nbsp;- &nbsp;Quel sens donner au débat ?</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp; La légitimité d’un débat était évidente – nous l’avons dit – pour Daniel Arasse.<br />Il en donnait même les principales raisons : les controverses devraient protéger de tout dogmatisme, et les œuvres des musées sont un bien commun – ce qui implique que le public « <em>a le droit– je dirais même – a le devoir de regard, de critique, et surtout le devoir de demander des comptes aux gens qui opèrent ce travail sur les œuvres.</em> »<br />Dans la seconde journée, Jean-Pierre Cuzin l’a réaffirmé sous une autre forme :<br />« <em>Je crois que toutes les critiques sont utiles. Y compris celle des peintres, et peut-être surtout celles des peintres.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cependant, très vite, les deux historiens exprimaient, paradoxalement, la plus grande difficulté à comprendre quelles pouvaient bien être les raisons des critiques.</p> <p>&nbsp;&nbsp; « <em>J’aimerais essayer de mieux comprendre, en particulier, la position des adversaires de la restauration. A part les arguments de l’oeil, de la qualité, de la sensibilité, qui sont des arguments d’autorité que je ne peux pas, bien sûr, accepter, et à part aussi le fait que toute restauration mauvaise est une mauvaise restauration et n’est pas une restauration du tout – à part cela, tout ce que j’ai pu entendre ce matin montre qu’il y a vraiment un respect de l’œuvre, une déontologie qui s’est établie. J’aimerais comprendre pourquoi il y a toujours une hostilité, parfois sauvage, à l’égard de la restauration.</em> »</p> <p>&nbsp;&nbsp; Autrement dit, si le principe d’une controverse est jugé sain – s’il est un droit, et même un devoir –, l’objet d’une controverse demeure, quant à lui, inexplicable, sans justification. Du moins sans justification autre que passionnelle et subjective. Je crois que cette difficulté à comprendre n’est sûrement pas feinte, et que le souhait de comprendre est certainement sincère. C’est pourquoi je voudrais ouvrir ici une parenthèse pour essayer d’éclaircir ce sujet.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Daniel Arasse a fourni, en fait, des éléments qui permettent de cerner le malentendu. &nbsp; &nbsp;Les voici en trois points.</p> <p>&nbsp;&nbsp;Si l’on part du principe que l’on a en face de soi des « <em>adversaires</em> » de la restauration – et mettre le terme entre guillemets par courtoisie ne change pas grand chose – on ne pourra jamais concevoir le sens de ce qu’ils disent. On admettra juste qu’il existe une position “anti-restauration”, aussi curieuse et stérile qu’un parti pris “anti-médecine”.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Or, ce n’est pas d’<em>adversaires</em> de <em>la restauration</em> qu’il s’agit mais de <em>critiques de restaurations</em>. Cette distinction est essentielle. Elle a tout son sens dans le travail universitaire que connaît bien l’historien. Elle est fondamentale dans la démocratie elle-même.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ce premier point en éclaire un second. Lorsque Daniel Arasse met “à part les mauvaises restaurations”, il supprime, de sa propre initiative, toute raison aux critiques. Il ne peut pas ensuite s’étonner de ne plus en trouver. Déclarer que toute mauvaise restauration n’est, en réalité, pas une restauration du tout –c’est-à-dire qu’elle est un rafistolage ou un maquillage mais pas une restauration – est un sophisme. Il suppose bien sûr un premier axiome sous-entendu : 1) Toute restauration est bonne ; 2) celle-ci est mauvaise ; 3) donc ce n’est pas une restauration.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Mais, si c’est un sophisme, néanmoins, c’est une bonne réflexion. En effet,<br />la restauration tient sa définition– à un moment donné – des limites qu’elle se fixe.<br />Une parfaite restauration “de style”, réalisée par Viollet-le-Duc ou par ses élèves, sera aujourd’hui considérée comme une reconstitution hypothétique,une reconstruction fantaisiste, mais justement pas comme une restauration. La retouche d’un professionnel du XIXe siècle, sera nommée “surpeint” et non restauration.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ici, l’historien devrait se souvenir du rôle des critiques. C’est à Ruskin que l’on doit une critique du travail de Viollet-le-Duc, qui a permis, bien plus tard, dans la Charte de Venise, de retrancher la reconstitution hypothétique du domaine de la restauration. De la critique de Ruskin, nous vient aussi la notion d’authenticité, mise en valeur dans la récente Charte de Cracovie. C’est encore la critique des nettoyages anglais par Brandi qui sous-tend sa définition de la restauration dans la Teoria del Restauro.</p> <h3><span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;">Le jugement de l’œil, accordé aux restaurateurs mais refusé aux critiques ?</span></h3> <p>&nbsp;&nbsp; Cette position exige à l’inverse que les critiques soient argumentées. Nous rejoignons le troisième point. Les arguments de l’oeil (lequel jugerait d’une restauration), ceux de la qualité ou de la sensibilité, sont récusés par Daniel Arasse, parce que ce sont des arguments d’autorité. Dans le cadre d’un débat, je peux le comprendre. Force est de reconnaître que l’autoritas n’est plus le fondement de la politique, ni de l’éducation – ainsi que l’a parfaitement analysé Hannah Arendt – ni, en grande partie, de notre rapport à la culture.</p> <p>&nbsp;&nbsp; L’historien ajoute encore foi au témoignage de Pline l’Ancien sur un tableau d’Aristide, au jugement de Goya sans doute, de Delacroix peut-être, mais il ne reconnaît plus l’autorité du peintre vivant. Mais nous savons que pour progresser sans le recours de l’autorité ancienne, nous devons précisément nous astreindre à exercer notre esprit critique. Nous n’avons que cette alternative. Et au moins aurons-nous soin de ne pas substituer à l’autorité du peintre, en quoi nous ne croyons plus, une confiance sans critique dans le laboratoire ou le musée. A bien des égards, ceux-ci sont les nouveaux modèles d’autorités, dont il est devenu aussi inconvenant de discuter les affirmations que pour un scolastique de mettre en doute Thomas d’Aquin.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Un autre malentendu s’ajoute au précédent. Je conçois très bien que le simple jugement de l’oeil, ou que la qualité picturale et sensible d’une œuvre comparée avant-après une restauration, ne soient pas acceptés au titre d’arguments prépondérants. Mais cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas place dans un débat. En effet, le restaurateur, quant à lui, est bien chargé, en examinant un état avant, de reconnaître les qualités picturales qu’il devra respecter. Il doit aussi discerner des qualités de l’œuvre qu’il pourrait en outre récupérer, grâce à son intervention, dans un état après dont il doit se faire une idée.</p> <p>&nbsp;&nbsp; C’est bien l’oeil du restaurateur, et nul autre instrument, qui guide sa main, puis l’arrête avant qu’un dévernissage ne soit trop poussé. C’est enfin avec une “mesure de sensibilité” qu’il lui faut doser ses retouches. Jean-Pierre Cuzin ne disait pas autre chose dans sa conférence en définissant les vertus du bon restaurateur: « <em>Qualité de l’oeil, de la sensibilité, et connaissance intime des artistes</em> [qu’il traite] ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Pourquoi, alors, la sensibilité, l’acuité de l’oeil, le discernement des qualités picturales, qui sont autant d’outils effectifs dans le travail du restaurateur, ne seraient-ils, subitement, plus des outils acceptables dans le travail du critique ? Comment peut-on récuser pour l’un, les moyens de jugement que l’on vient d’exiger, pour l’autre?</p> <p>&nbsp;&nbsp; Ecarter toute évaluation esthétique n’est qu’une autre forme de l’empirisme en restauration. Dans ces conditions, il ne serait plus possible de comprendre Brandi lorsqu’il impose au restaurateur de ne pas mettre en avant la « <em>jactance de la matière</em> » au détriment de l’image, notion fondamentale dans sa Teoria, qui réclame pourtant un jugement de l’oeil.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Cette question – en réalité assez complexe – ne peut pas être éludée dans le cours d’un débat. Il m’est arrivé plusieurs fois de visiter des musées et des expositions en compagnie de restaurateurs. Et j’ai dû reconnaître que leur oeil faisait d’eux des critiques beaucoup plus sévères que moi. Face à des œuvres récemment restaurées,<br />ils savaient parfaitement discerner quel traitement elles avaient subi et quelles dégradations en étaient résultées.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Terminons sur une intervention de Daniel Arasse qui a dénoncé l’usage du terme “lisibilité” – si souvent employé pour justifier les restaurations – comme impropre à circonscrire le genre de regard exigé par les œuvres d’art et, par conséquent, infondé en tant que critère de restauration. Monsieur Cuzin en a convenu immédiatement mais non pas les conférenciers italiens présents à cette tribune.</p> <p>&nbsp;</p> <p>Michel Favre-Félix</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> Débat au Louvre décembre 2002 (2) James Blœdé 2011-03-14T12:02:48Z 2011-03-14T12:02:48Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/61-les-debats-sur-la-restauration/152-debat-au-louvre-decembre-2002-james-bloede.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Nuances 31 (2003/1) – pp. 11-13</span></span></span></p> <h2>Un débat au Louvre (12/2002)<br />Intervention de James Blœdé</h2> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Peintre, professeur à l'École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris<br />président de l'ARIPA</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p><em>Extraits de l’intervention à l’auditorium du Louvre</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p>&nbsp;&nbsp; Contrairement à ce que l’on a voulu faire croire, la controverse née en France durant la restauration des <em>Noces de Cana</em> ne réside pas dans une opposition entre une faction de romantiques attachés à un goût douteux pour les patines et les vernis sombres et<br />une institution toujours soucieuse de préserver l’intégrité des oeuvres.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Non ! Ce que l’on a vu surgir alors n’est rien d’autre qu’une nouvelle querelle des vernis dans laquelle les musées de France – mais aussi d’Italie, le problème est aujourd’hui international – se retrouvent dans la position de l’Angleterre après-guerre, et les artistes et amateurs de l’ARIPA dans celle des défenseurs des restaurations modérées ou, pour reprendre le mot de René Huygue, des restaurations « <em>nuancées</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Au reste, ce n’est pas pour rien que notre bulletin s’appelle Nuances. Et si nos propos sont parfois peu « nuancés », dites-vous bien que cela vient de la réelle souffrance que nous éprouvons à voir des oeuvres, pour leur part, violentées.<br />En tant qu’artistes, dont beaucoup ont appris leur métier au Louvre, en copiant ceux que l’on appelle les maîtres, nous nous sentons redevables des joies et des enseignements qu’ils nous ont apportés. Par conséquent nous nous sentons aussi le droit, que dis-je, le devoir, de les défendre. Et, pour cela, nous avons un oeil, oui, une sensibilité. Loin de nous l’idée que nous en aurions le monopole.<br /> […]<br />&nbsp;&nbsp; Il est véritablement anormal que les commissions de restauration ne comportent pas de représentants des restaurateurs – un nombre de restaurateurs égal à celui des conservateurs. De même, pour qu’il y ait vraiment interdisciplinarité, il y faudrait des artistes.<br /> […]<br />&nbsp;&nbsp; Certains ont fait la remarque, pour s’en étonner,que les controverses ont éclaté, de loin en loin, au cours de l’histoire, sur quelques cas isolés. C’est vrai. Ce phénomène est, en effet curieux et mériterait d’être étudié. Pourquoi la restauration de certaines oeuvres a-t-elle provoqué un tollé alors que d’autres, qui auraient dû être encore plus décriées, sont-elles passées, sinon inaperçues, du moins, sans faire de bruit ?<br /> […]<br />&nbsp;&nbsp; Pourquoi restaurer les oeuvres d’art au moment de préparer les grandes rétrospectives ? C’est une pratique courante et pourtant funeste, car souvent menée à la hâte pour être prêt à temps.<br />&nbsp;&nbsp; Mais, pour la question qui nous occupe, ces rétrospectives représentent un bon champ d’observation. Souvenons-nous de l’exposition Poussin, ou bien Watteau, ou Chardin, ou encore “Le Siècle de Titien”. Ah ! les Poussins venus de Russie, encore vêtus de leur vernis blond ! Et les Chardins encore conservés dans des collections privées, certains magnifiquement préservés ! D’autres Chardins, de Russie, magnifiques ! Beaucoup de tableaux du Louvre, bien sûr, merveilleux, car il n’est pas question de prétendre qu’au Louvre tout irait mal ; mieux, de toutes façons, que chez les anglo-saxons ; mieux, désormais, et c’est triste à dire, qu’en Italie, patrie de Brandi, pays où l’on restaure tout, pourquoi ? Pour le Jubilée, pour l’An 2000 ! Est-ce que ça a un sens, le jubilée, pour les oeuvres d’art ?<br />&nbsp;&nbsp; L’exemple des grandes rétrospectives nous montre à l’évidence que chaque pays a sa façon de restaurer et que, par conséquent, si on peut restaurer de diverses manières, c’est que la restauration est aussi une question de choix. Y compris celui de ne pas restaurer. <br />[…]<br />&nbsp;&nbsp; France Dijoud [co-directrice des services de restauration des musées de France] a, hier matin, admis qu’il fallait que le débat que nous réclamons depuis plus de dix ans ait enfin lieu.<br />[…]<br /> <em></em></p> <p><em>A ce moment de sa conférence, James Bloedé projette un certain nombre de diapositives reproduisant, dans leur grande majorité, des tableaux du Louvre entièrement dévernis – bien que les catalogues, ouvrages censés être “scientifiques”, prétendent qu’ils n’ont subi qu’un allégement de vernis, voire un allégement modéré {tooltip}(1){end-texte}Liste des oeuvres projetées au cours de la conférence : Les Noces de Cana (Véronèse) – La Sainte Famille (Bronzino) – La Prédication de saint Etienne (Carpaccio) – Le Repos de Vénus et de Vulcain (L’Albane) – La Vierge et l’Enfant avec sainte Anne et quatre saints (Pontormo) – Le Jugement de Salomon, Moïse sauvé des eaux, Sainte Françoise Romaine et L’Enlèvement des Sabines (Poussin) – La Charité ( Andrea del Sarto) – Les Epoux Seriziat (David) – L’Embarquement pour Cythère (Watteau) – Lièvre mort avec poire à poudre et gibecière (Chardin) – La Pietà (Rosso Fiorentino). {end-tooltip}<span class="Apple-style-span" style="font-style: normal;">. </span></em></p> <p><em><span class="Apple-style-span" style="font-style: normal;"><em>Il les introduit en rappelant les raisons pour lesquelles on ne doit pas dévernir&nbsp;</em>:</span></em></p> <p>&nbsp;</p> <p>(Rappelons d’abord que la plupart des opérations de restauration peuvent se faire<br />sans dévernir)</p> <p>– Parce que l’on risque de perdre les glacis, les frottis et vélatures.</p> <p>– Parce que la matérialité du tableau se révèle au dépend de sa spiritualité.</p> <p>– Parce qu’on obtient un aplatissement des volumes et de l’espace.</p> <p>– Parce que l’on met en évidence des bleus, des rouges, devenus trop vifs, des blancs, devenus trop crus, toutes sortes de désaccords que le vernis blond avait le mérite de tempérer.</p> <p>– Parce que le vernis blond soutient les couleurs fugaces, en partie évanouies, et celles transparentes ou usées.</p> <p>– Parce que le vernis blond rend plus doux, plus clairs, des bruns ou d’autres couleurs virées au noir et opacifiées au cours du temps.</p> <p>– Parce que le solvant utilisé pour dévernir fragilise la couche picturale (lixiviation).</p> <p>– Parce que l’on sait que les artistes du passé connaissaient ce phénomène d’oxydation du vernis, qui commence très vite et se stabilise en une quinzaine d’années, et qu’ils en tenaient très vraisemblablement compte dans leurs tableaux.</p> <p>– Parce que tous ces phénomènes d’évolution naturelle de la matière, y compris le jaunissement du vernis, sont considérés comme vieillissement normal de l’oeuvre et comme tels, sont partie intégrante et témoignent de l’authenticité de celle-ci.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; A l’aide de ces quelques exemples, j’espère avoir suffisamment montré que si la controverse porte sur un changement d’apparence des oeuvres, ce n’est pasque ce changement troublerait nos habitudes mais qu’il est, trop souvent, accompagné de désordres irréversibles, d’une perte de qualité irrémédiable. Le fait qu’un représentant de l’ARIPA ait été invité, pour la première fois, sur cette estrade, au sein même de l’institution, nous le prenons comme un signe très positif d’ouverture, un signe d’évolution. Je tiens à en remercier Monsieur Henri Loyrette ainsi que les organisateurs de ce passionnant colloque.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Mais toute époque a l’art qu’elle mérite et, si je pousse un cri d’alarme, c’est sans beaucoup d’espoir.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Comment penser que des oeuvres puissent être conservées, si tout ce qui va avec n’existe plus ? Comment penser que des oeuvres puissent être correctement restaurées quand l’humanisme et le sens du sacré dont elles témoignaient ont perdu toute signification? Quand on assiste à la réification des oeuvres et de l’homme lui-même pour des motifs strictement économiques ou d’ordre mondial. Quand on substitue à la transcendance qu’implique et produit l’oeuvre d’art, la lisibilité triviale de l’image.</p> <p>&nbsp;&nbsp; En donnant un tour systématique aux restaurations, serait-ce la société elle-même qui tenterait de se restaurer, de restaurer ses anciennes valeurs ? Et n’aboutirait-elle pas à ce qui ne serait qu’un apparent paradoxe : à ce que, faute de comprendre l’essence des oeuvres du passé, elle en viendrait à réduire leur signification devenue insaisissable, voire la détruire, pour les rendre supportables au regard des contemporains.</p> <p>&nbsp;</p> <p>James Bloedé</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Liste des oeuvres projetées au cours de la conférence :</p> <p><em>Les Noces de Cana</em> (Véronèse) – La <em>Sainte Famille</em> (Bronzino) – <em>La Prédication de saint Etienne</em> (Carpaccio) – <em>Le Repos de Vénus et de Vulcain</em> (L’Albane) – <em>La Vierge et l’Enfant avec sainte Anne et quatre saints</em> (Pontormo) – <em>Le Jugement de Salomon</em>, <em>Moïse sauvé des eaux</em>, <em>Sainte Françoise Romaine</em> et <em>L’Enlèvement des Sabines</em> (Poussin) – <em>La Charité</em> (Andrea del Sarto) – <em>Les Epoux Seriziat</em> (David) – <em>L’Embarquement pour Cythère</em> (Watteau) – <em>Lièvre mort avec poire à poudre et gibecière</em> (Chardin) – La <em>Pietà</em> (Rosso Fiorentino).</p> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Nuances 31 (2003/1) – pp. 11-13</span></span></span></p> <h2>Un débat au Louvre (12/2002)<br />Intervention de James Blœdé</h2> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Peintre, professeur à l'École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris<br />président de l'ARIPA</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p><em>Extraits de l’intervention à l’auditorium du Louvre</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p>&nbsp;&nbsp; Contrairement à ce que l’on a voulu faire croire, la controverse née en France durant la restauration des <em>Noces de Cana</em> ne réside pas dans une opposition entre une faction de romantiques attachés à un goût douteux pour les patines et les vernis sombres et<br />une institution toujours soucieuse de préserver l’intégrité des oeuvres.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Non ! Ce que l’on a vu surgir alors n’est rien d’autre qu’une nouvelle querelle des vernis dans laquelle les musées de France – mais aussi d’Italie, le problème est aujourd’hui international – se retrouvent dans la position de l’Angleterre après-guerre, et les artistes et amateurs de l’ARIPA dans celle des défenseurs des restaurations modérées ou, pour reprendre le mot de René Huygue, des restaurations « <em>nuancées</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; Au reste, ce n’est pas pour rien que notre bulletin s’appelle Nuances. Et si nos propos sont parfois peu « nuancés », dites-vous bien que cela vient de la réelle souffrance que nous éprouvons à voir des oeuvres, pour leur part, violentées.<br />En tant qu’artistes, dont beaucoup ont appris leur métier au Louvre, en copiant ceux que l’on appelle les maîtres, nous nous sentons redevables des joies et des enseignements qu’ils nous ont apportés. Par conséquent nous nous sentons aussi le droit, que dis-je, le devoir, de les défendre. Et, pour cela, nous avons un oeil, oui, une sensibilité. Loin de nous l’idée que nous en aurions le monopole.<br /> […]<br />&nbsp;&nbsp; Il est véritablement anormal que les commissions de restauration ne comportent pas de représentants des restaurateurs – un nombre de restaurateurs égal à celui des conservateurs. De même, pour qu’il y ait vraiment interdisciplinarité, il y faudrait des artistes.<br /> […]<br />&nbsp;&nbsp; Certains ont fait la remarque, pour s’en étonner,que les controverses ont éclaté, de loin en loin, au cours de l’histoire, sur quelques cas isolés. C’est vrai. Ce phénomène est, en effet curieux et mériterait d’être étudié. Pourquoi la restauration de certaines oeuvres a-t-elle provoqué un tollé alors que d’autres, qui auraient dû être encore plus décriées, sont-elles passées, sinon inaperçues, du moins, sans faire de bruit ?<br /> […]<br />&nbsp;&nbsp; Pourquoi restaurer les oeuvres d’art au moment de préparer les grandes rétrospectives ? C’est une pratique courante et pourtant funeste, car souvent menée à la hâte pour être prêt à temps.<br />&nbsp;&nbsp; Mais, pour la question qui nous occupe, ces rétrospectives représentent un bon champ d’observation. Souvenons-nous de l’exposition Poussin, ou bien Watteau, ou Chardin, ou encore “Le Siècle de Titien”. Ah ! les Poussins venus de Russie, encore vêtus de leur vernis blond ! Et les Chardins encore conservés dans des collections privées, certains magnifiquement préservés ! D’autres Chardins, de Russie, magnifiques ! Beaucoup de tableaux du Louvre, bien sûr, merveilleux, car il n’est pas question de prétendre qu’au Louvre tout irait mal ; mieux, de toutes façons, que chez les anglo-saxons ; mieux, désormais, et c’est triste à dire, qu’en Italie, patrie de Brandi, pays où l’on restaure tout, pourquoi ? Pour le Jubilée, pour l’An 2000 ! Est-ce que ça a un sens, le jubilée, pour les oeuvres d’art ?<br />&nbsp;&nbsp; L’exemple des grandes rétrospectives nous montre à l’évidence que chaque pays a sa façon de restaurer et que, par conséquent, si on peut restaurer de diverses manières, c’est que la restauration est aussi une question de choix. Y compris celui de ne pas restaurer. <br />[…]<br />&nbsp;&nbsp; France Dijoud [co-directrice des services de restauration des musées de France] a, hier matin, admis qu’il fallait que le débat que nous réclamons depuis plus de dix ans ait enfin lieu.<br />[…]<br /> <em></em></p> <p><em>A ce moment de sa conférence, James Bloedé projette un certain nombre de diapositives reproduisant, dans leur grande majorité, des tableaux du Louvre entièrement dévernis – bien que les catalogues, ouvrages censés être “scientifiques”, prétendent qu’ils n’ont subi qu’un allégement de vernis, voire un allégement modéré {tooltip}(1){end-texte}Liste des oeuvres projetées au cours de la conférence : Les Noces de Cana (Véronèse) – La Sainte Famille (Bronzino) – La Prédication de saint Etienne (Carpaccio) – Le Repos de Vénus et de Vulcain (L’Albane) – La Vierge et l’Enfant avec sainte Anne et quatre saints (Pontormo) – Le Jugement de Salomon, Moïse sauvé des eaux, Sainte Françoise Romaine et L’Enlèvement des Sabines (Poussin) – La Charité ( Andrea del Sarto) – Les Epoux Seriziat (David) – L’Embarquement pour Cythère (Watteau) – Lièvre mort avec poire à poudre et gibecière (Chardin) – La Pietà (Rosso Fiorentino). {end-tooltip}<span class="Apple-style-span" style="font-style: normal;">. </span></em></p> <p><em><span class="Apple-style-span" style="font-style: normal;"><em>Il les introduit en rappelant les raisons pour lesquelles on ne doit pas dévernir&nbsp;</em>:</span></em></p> <p>&nbsp;</p> <p>(Rappelons d’abord que la plupart des opérations de restauration peuvent se faire<br />sans dévernir)</p> <p>– Parce que l’on risque de perdre les glacis, les frottis et vélatures.</p> <p>– Parce que la matérialité du tableau se révèle au dépend de sa spiritualité.</p> <p>– Parce qu’on obtient un aplatissement des volumes et de l’espace.</p> <p>– Parce que l’on met en évidence des bleus, des rouges, devenus trop vifs, des blancs, devenus trop crus, toutes sortes de désaccords que le vernis blond avait le mérite de tempérer.</p> <p>– Parce que le vernis blond soutient les couleurs fugaces, en partie évanouies, et celles transparentes ou usées.</p> <p>– Parce que le vernis blond rend plus doux, plus clairs, des bruns ou d’autres couleurs virées au noir et opacifiées au cours du temps.</p> <p>– Parce que le solvant utilisé pour dévernir fragilise la couche picturale (lixiviation).</p> <p>– Parce que l’on sait que les artistes du passé connaissaient ce phénomène d’oxydation du vernis, qui commence très vite et se stabilise en une quinzaine d’années, et qu’ils en tenaient très vraisemblablement compte dans leurs tableaux.</p> <p>– Parce que tous ces phénomènes d’évolution naturelle de la matière, y compris le jaunissement du vernis, sont considérés comme vieillissement normal de l’oeuvre et comme tels, sont partie intégrante et témoignent de l’authenticité de celle-ci.</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;&nbsp; A l’aide de ces quelques exemples, j’espère avoir suffisamment montré que si la controverse porte sur un changement d’apparence des oeuvres, ce n’est pasque ce changement troublerait nos habitudes mais qu’il est, trop souvent, accompagné de désordres irréversibles, d’une perte de qualité irrémédiable. Le fait qu’un représentant de l’ARIPA ait été invité, pour la première fois, sur cette estrade, au sein même de l’institution, nous le prenons comme un signe très positif d’ouverture, un signe d’évolution. Je tiens à en remercier Monsieur Henri Loyrette ainsi que les organisateurs de ce passionnant colloque.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Mais toute époque a l’art qu’elle mérite et, si je pousse un cri d’alarme, c’est sans beaucoup d’espoir.</p> <p>&nbsp;&nbsp; Comment penser que des oeuvres puissent être conservées, si tout ce qui va avec n’existe plus ? Comment penser que des oeuvres puissent être correctement restaurées quand l’humanisme et le sens du sacré dont elles témoignaient ont perdu toute signification? Quand on assiste à la réification des oeuvres et de l’homme lui-même pour des motifs strictement économiques ou d’ordre mondial. Quand on substitue à la transcendance qu’implique et produit l’oeuvre d’art, la lisibilité triviale de l’image.</p> <p>&nbsp;&nbsp; En donnant un tour systématique aux restaurations, serait-ce la société elle-même qui tenterait de se restaurer, de restaurer ses anciennes valeurs ? Et n’aboutirait-elle pas à ce qui ne serait qu’un apparent paradoxe : à ce que, faute de comprendre l’essence des oeuvres du passé, elle en viendrait à réduire leur signification devenue insaisissable, voire la détruire, pour les rendre supportables au regard des contemporains.</p> <p>&nbsp;</p> <p>James Bloedé</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p>Liste des oeuvres projetées au cours de la conférence :</p> <p><em>Les Noces de Cana</em> (Véronèse) – La <em>Sainte Famille</em> (Bronzino) – <em>La Prédication de saint Etienne</em> (Carpaccio) – <em>Le Repos de Vénus et de Vulcain</em> (L’Albane) – <em>La Vierge et l’Enfant avec sainte Anne et quatre saints</em> (Pontormo) – <em>Le Jugement de Salomon</em>, <em>Moïse sauvé des eaux</em>, <em>Sainte Françoise Romaine</em> et <em>L’Enlèvement des Sabines</em> (Poussin) – <em>La Charité</em> (Andrea del Sarto) – <em>Les Epoux Seriziat</em> (David) – <em>L’Embarquement pour Cythère</em> (Watteau) – <em>Lièvre mort avec poire à poudre et gibecière</em> (Chardin) – La <em>Pietà</em> (Rosso Fiorentino).</p> Débat au Louvre décembre 2002 (3) Marijnissen 2011-03-14T12:02:48Z 2011-03-14T12:02:48Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/61-les-debats-sur-la-restauration/154-debat-au-louvre-decembre-2002-marijnissen.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Nuances 31 (2003/1) – pp. 6-7</span></span></span></p> <h2>Un débat au Louvre (12/2002)<br />Intervention de René-Henri Marijnissen</h2> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Historien de l’art et de la restauration, chef du département Conservation<br />à l’Institut Royal du Patrimoine de Belgique (1958-1988)</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p><em>Intervention à l’auditorium du Louvre</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p>&nbsp;&nbsp; • Pourquoi restaurer ? Je tiens à fournir une réponse en tant que professionnel.<br />Je suis un homme de métier, du moins je l’espère. Je fonctionne dans la profession depuis plus d’un demi-siècle, ce qui, en soi, n’est pas une référence, je l’admets volontiers.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • La “restauration”, je ne suis ni pour ni contre d’une façon inconditionnelle : j’emprunte la conviction de Peter Ustinov : je suis de l’extrême centre.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Pourquoi restaurons-nous ? Tout simplement parce qu’on s’engage dans une lutte contre la mort. Voir dépérir, voir mourir une œuvre très belle, nous révolte. Nous intervenons pour arrêter son vieillissement et sa dégradation. Les dégâts qu’elle a subis, nous exigeons qu’ils soient réparés. En agissant de la sorte, nous nous opposons à un processus naturel, universel et inévitable. Cette attitude est propre à l’esprit occidental.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Toute intervention sur une œuvre d’art est communément désignée par le terme restauration, or dans les opérations on distingue deux catégories déterminées par leurs fins spécifiques :<br />&nbsp;&nbsp; – en premier lieu il y a la <em>conservation</em>, par quoi j’entends toute intervention qui tend à assurer la pérennité matérielle de l’œuvre ;<br />&nbsp;&nbsp; – et puis il y a la <em>restauration</em> proprement dite qui, me semble-t-il, intervient sur l’entité artistique esthétique de l’œuvre. Elle commence par la retouche d’une lacune infime et, dans une application radicale, elle complète tout ce que l’œuvre semble avoir perdu, autrement dit : le restaurateur reprend résolument l’élan créateur de l’artiste pour ramener l’œuvre à un état proche de celui qu’elle avait à l’origine. Rappelons la célèbre définition de Viollet-le-Duc :« <em>Restaurer c’est rétablir un état qui peut-être n’a jamais existé</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Grâce aux contributions fournies par les sciences exactes pendant la seconde moitié du XXe siècle, nous disposons désormais d’une liste assez longue de tout ce qu’il faut bannir de l’atelier du restaurateur, en l’occurrence les matériaux agressifs ou peu fiables, ainsi que les méthodes artisanales ou industrielles préjudiciables, soit dans l’immédiat, soit à long terme.<br />&nbsp;&nbsp; La science nous a appris ce qu’il ne faut pas faire.<br />&nbsp;&nbsp; Il en résulte que le problème de la <em>conservation</em> est en majeure partie résolu. Toutefois, à une exception près : à savoir la question du nettoyage des tableaux, âprement débattue depuis le XVIIIe siècle, précisément parce que l’appréciation de ce problème spécifique tombe dans le domaine du non mesurable. Les deux camps opposés sont séparés par une couche de vernis jauni, semi transparente voire franchement opaque.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Quant à la <em>restauration</em> proprement dite, les problèmes se présentent intégralement comme des questions d’interprétation et se situent donc au niveau du non-mesurable.<br />&nbsp;&nbsp; Or l’interprétation est déterminée par l’individu : ses facultés d’observation, ses prédilections, ses connaissances et son ignorance, ses convictions et ses bévues.<br />En outre interviennent les convictions de sa société et de son époque. En effet, la restauration est marquée par des choix préférentiels, communément appelés “mode”, sans oublier les choix imposés par des traditions locales et la recherche de prestige.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • A l’occasion d’une intervention importante sur une œuvre célèbre, les commentaires évoquent assez souvent les succès de la chirurgie moderne.<br />&nbsp;&nbsp; En y regardant de près, la comparaison s’avère passablement fallacieuse. Un patient, après avoir subi le choc opératoire,entame un processus de récupération ; il se rétablit. Une œuvre d’art ne peut que subir, elle n’a aucune ressource qui lui permettra de récupérer. Celles qui sont mortes de leur belle mort sur le billard sont nombreuses.<br />&nbsp;&nbsp; Des restaurateurs-chirurgiens qualifiés, il y en a, bien sûr ; mais de temps à autre on assiste à des opérations exécutées par des chirurgiens qui n’ont jamais étudié l’anatomie.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • On parle de la relation passionnelle que le restaurateur entretient avec l’œuvre qui lui est confiée. Admettons qu’elle soit souhaitable, voire nécessaire. Rappelons toutefois que l’histoire de la restauration nous incite à s’en méfier.<br />&nbsp;&nbsp; Disons-nous bien que cette passion est de toute façon une passion à sens unique.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Le seul point de départ de toute intervention est l’état dans lequel l’œuvre nous est parvenue, et non l’état qu’on désire qu’elle ait.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Ceux et celles qui décident des traitements ou qui sont appelés à intervenir effectivement sur les œuvres doivent apprendre à écouter les œuvres. Telle œuvre chuchote, telle autre crie à tue-tête ce qu’il ne faut surtout pas lui imposer.<br />&nbsp;&nbsp; Cette attitude exige des connaissances étendues, une information à jour, une culture qui dépasse les limites de la discipline dans laquelle on fonctionne et surtout un sens aigu des responsabilités de tous les membres de l’équipe, chacun au niveau de ses attributions.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • La problématique fort complexe de la restauration doit être traitée avec beaucoup de discernement et non par une majorité contre une opposition. Sachons qu’elle est par fois insoluble.</p> <p>&nbsp;&nbsp;• Travaillant dans les meilleures conditions possibles – c’est-à-dire sans contrainte aucune – royalement rémunéré et soutenu par une équipe de spécialistes hautement qualifiés, le meilleur restaurateur du monde posera une ou plusieurs prothèses, éventuellement bien réussies, mais néanmoins des prothèses qui, dans un proche avenir, seront à leur tour refusées pour des raisons diverses. Point n’est besoin de démontrer qu’une accumulation de prothèses mène à l’absurde.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • La quantité ou l’étendue des dégâts supportables sont déterminées par la nature de l’œuvre. Pour certains tableaux – un Vermeer, un Georges de La Tour – la tolérance est pratiquement nulle.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Les résultats d’un banc d’essai long de deux siècles et demi nous obligent à nous rendre à l’évidence: reprendre l’élan créateur pour restaurer ce que l’œuvre a perdu au cours de son existence est une entreprise vouée à l’échec. Tout dégât subi par une création unique constitue en réalité une blessure définitive.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • En matière de conservation et restauration, il n’y a qu’une seule école valable,<br />à savoir celle des œuvres.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Qui a raison, qui a tort ? Ni vous, ni moi. Nos disputes sont vaines, car en définitive ce sont les œuvres qui ont raison ; hélas, souvent quand il est trop tard.</p> <p>&nbsp;</p> <p>René-Henri Marijnissen</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Nuances 31 (2003/1) – pp. 6-7</span></span></span></p> <h2>Un débat au Louvre (12/2002)<br />Intervention de René-Henri Marijnissen</h2> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #808080;" mce_style="color: #808080;"> Historien de l’art et de la restauration, chef du département Conservation<br />à l’Institut Royal du Patrimoine de Belgique (1958-1988)</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p><em>Intervention à l’auditorium du Louvre</em></p> <p>&nbsp;</p> <p><em><br /></em></p> <p>&nbsp;&nbsp; • Pourquoi restaurer ? Je tiens à fournir une réponse en tant que professionnel.<br />Je suis un homme de métier, du moins je l’espère. Je fonctionne dans la profession depuis plus d’un demi-siècle, ce qui, en soi, n’est pas une référence, je l’admets volontiers.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • La “restauration”, je ne suis ni pour ni contre d’une façon inconditionnelle : j’emprunte la conviction de Peter Ustinov : je suis de l’extrême centre.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Pourquoi restaurons-nous ? Tout simplement parce qu’on s’engage dans une lutte contre la mort. Voir dépérir, voir mourir une œuvre très belle, nous révolte. Nous intervenons pour arrêter son vieillissement et sa dégradation. Les dégâts qu’elle a subis, nous exigeons qu’ils soient réparés. En agissant de la sorte, nous nous opposons à un processus naturel, universel et inévitable. Cette attitude est propre à l’esprit occidental.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Toute intervention sur une œuvre d’art est communément désignée par le terme restauration, or dans les opérations on distingue deux catégories déterminées par leurs fins spécifiques :<br />&nbsp;&nbsp; – en premier lieu il y a la <em>conservation</em>, par quoi j’entends toute intervention qui tend à assurer la pérennité matérielle de l’œuvre ;<br />&nbsp;&nbsp; – et puis il y a la <em>restauration</em> proprement dite qui, me semble-t-il, intervient sur l’entité artistique esthétique de l’œuvre. Elle commence par la retouche d’une lacune infime et, dans une application radicale, elle complète tout ce que l’œuvre semble avoir perdu, autrement dit : le restaurateur reprend résolument l’élan créateur de l’artiste pour ramener l’œuvre à un état proche de celui qu’elle avait à l’origine. Rappelons la célèbre définition de Viollet-le-Duc :« <em>Restaurer c’est rétablir un état qui peut-être n’a jamais existé</em> ».</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Grâce aux contributions fournies par les sciences exactes pendant la seconde moitié du XXe siècle, nous disposons désormais d’une liste assez longue de tout ce qu’il faut bannir de l’atelier du restaurateur, en l’occurrence les matériaux agressifs ou peu fiables, ainsi que les méthodes artisanales ou industrielles préjudiciables, soit dans l’immédiat, soit à long terme.<br />&nbsp;&nbsp; La science nous a appris ce qu’il ne faut pas faire.<br />&nbsp;&nbsp; Il en résulte que le problème de la <em>conservation</em> est en majeure partie résolu. Toutefois, à une exception près : à savoir la question du nettoyage des tableaux, âprement débattue depuis le XVIIIe siècle, précisément parce que l’appréciation de ce problème spécifique tombe dans le domaine du non mesurable. Les deux camps opposés sont séparés par une couche de vernis jauni, semi transparente voire franchement opaque.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Quant à la <em>restauration</em> proprement dite, les problèmes se présentent intégralement comme des questions d’interprétation et se situent donc au niveau du non-mesurable.<br />&nbsp;&nbsp; Or l’interprétation est déterminée par l’individu : ses facultés d’observation, ses prédilections, ses connaissances et son ignorance, ses convictions et ses bévues.<br />En outre interviennent les convictions de sa société et de son époque. En effet, la restauration est marquée par des choix préférentiels, communément appelés “mode”, sans oublier les choix imposés par des traditions locales et la recherche de prestige.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • A l’occasion d’une intervention importante sur une œuvre célèbre, les commentaires évoquent assez souvent les succès de la chirurgie moderne.<br />&nbsp;&nbsp; En y regardant de près, la comparaison s’avère passablement fallacieuse. Un patient, après avoir subi le choc opératoire,entame un processus de récupération ; il se rétablit. Une œuvre d’art ne peut que subir, elle n’a aucune ressource qui lui permettra de récupérer. Celles qui sont mortes de leur belle mort sur le billard sont nombreuses.<br />&nbsp;&nbsp; Des restaurateurs-chirurgiens qualifiés, il y en a, bien sûr ; mais de temps à autre on assiste à des opérations exécutées par des chirurgiens qui n’ont jamais étudié l’anatomie.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • On parle de la relation passionnelle que le restaurateur entretient avec l’œuvre qui lui est confiée. Admettons qu’elle soit souhaitable, voire nécessaire. Rappelons toutefois que l’histoire de la restauration nous incite à s’en méfier.<br />&nbsp;&nbsp; Disons-nous bien que cette passion est de toute façon une passion à sens unique.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Le seul point de départ de toute intervention est l’état dans lequel l’œuvre nous est parvenue, et non l’état qu’on désire qu’elle ait.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Ceux et celles qui décident des traitements ou qui sont appelés à intervenir effectivement sur les œuvres doivent apprendre à écouter les œuvres. Telle œuvre chuchote, telle autre crie à tue-tête ce qu’il ne faut surtout pas lui imposer.<br />&nbsp;&nbsp; Cette attitude exige des connaissances étendues, une information à jour, une culture qui dépasse les limites de la discipline dans laquelle on fonctionne et surtout un sens aigu des responsabilités de tous les membres de l’équipe, chacun au niveau de ses attributions.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • La problématique fort complexe de la restauration doit être traitée avec beaucoup de discernement et non par une majorité contre une opposition. Sachons qu’elle est par fois insoluble.</p> <p>&nbsp;&nbsp;• Travaillant dans les meilleures conditions possibles – c’est-à-dire sans contrainte aucune – royalement rémunéré et soutenu par une équipe de spécialistes hautement qualifiés, le meilleur restaurateur du monde posera une ou plusieurs prothèses, éventuellement bien réussies, mais néanmoins des prothèses qui, dans un proche avenir, seront à leur tour refusées pour des raisons diverses. Point n’est besoin de démontrer qu’une accumulation de prothèses mène à l’absurde.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • La quantité ou l’étendue des dégâts supportables sont déterminées par la nature de l’œuvre. Pour certains tableaux – un Vermeer, un Georges de La Tour – la tolérance est pratiquement nulle.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Les résultats d’un banc d’essai long de deux siècles et demi nous obligent à nous rendre à l’évidence: reprendre l’élan créateur pour restaurer ce que l’œuvre a perdu au cours de son existence est une entreprise vouée à l’échec. Tout dégât subi par une création unique constitue en réalité une blessure définitive.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • En matière de conservation et restauration, il n’y a qu’une seule école valable,<br />à savoir celle des œuvres.</p> <p>&nbsp;&nbsp; • Qui a raison, qui a tort ? Ni vous, ni moi. Nos disputes sont vaines, car en définitive ce sont les œuvres qui ont raison ; hélas, souvent quand il est trop tard.</p> <p>&nbsp;</p> <p>René-Henri Marijnissen</p> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> Restauro Timido 2011-03-18T17:11:40Z 2011-03-18T17:11:40Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/61-les-debats-sur-la-restauration/180-restauro-timido.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #ffffff;" mce_style="color: #ffffff;">blanc</span></span></span></p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/timido%20a.jpg" alt="timido a" title="Mouvement pour une restauration timide" /></p> <h2>Restauro timido</h2> <p><span style="border-style: initial; border-color: initial; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 9px; vertical-align: baseline; color: #808080; border-width: 0px; padding: 0px; margin: 0px;">........</span></p> <p>Le mouvement pour une restauration timide, que nous sommes heureux de faire découvrir en France, connaît une audience grandissante en Italie, son pays d'origine.<br />Antidote à la suractivité restauratrice, utilisant l’humour et l’élégance, il s’appuie sur la pratique sensible et prône la conservation maximale. Présentation d’une association atypique et entretien avec l’architecte Marco Ermentini, son animateur et co-fondateur.</p> <p><span style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><span style="font-size: xx-small;" mce_style="font-size: xx-small;"><span style="color: #ffffff;" mce_style="color: #ffffff;">blanc</span></span></span></p> <p><img src="http://www.aripa-revue-nuances.org/images/stories/timido%20a.jpg" alt="timido a" title="Mouvement pour une restauration timide" /></p> <h2>Restauro timido</h2> <p><span style="border-style: initial; border-color: initial; outline-width: 0px; outline-style: initial; outline-color: initial; font-size: 9px; vertical-align: baseline; color: #808080; border-width: 0px; padding: 0px; margin: 0px;">........</span></p> <p>Le mouvement pour une restauration timide, que nous sommes heureux de faire découvrir en France, connaît une audience grandissante en Italie, son pays d'origine.<br />Antidote à la suractivité restauratrice, utilisant l’humour et l’élégance, il s’appuie sur la pratique sensible et prône la conservation maximale. Présentation d’une association atypique et entretien avec l’architecte Marco Ermentini, son animateur et co-fondateur.</p> texte intro page accueil 2011-03-18T17:11:40Z 2011-03-18T17:11:40Z http://www.aripa-revue-nuances.org/articles-revue-nuances/61-les-debats-sur-la-restauration/75-texte-intro-page-accueil.html Administrator phil@noirebene.fr <p><span style="color: #865b04;">   Ce site propose une nouvelle présentation du débat sur la conservation et la restauration des peintures, engagé par notre association depuis 1992, tel que nous l'avons développé dans notre revue <em>Nuances</em>.</span></p> <p><span style="color: #865b04;">   Les contributions qu'y ont apporté, au fil des années, des historiens, des peintres, des scientifiques, des restaurateurs n’étaient plus aisément disponibles : on pourra ici les (re)découvrir et (re)considérer nos positions comme nos propositions.</span></p> <p><span style="color: #865b04;">   En plus des numéros de <em>Nuances</em> (depuis 1999) intégralement téléchargeables en PDF, nous proposons un choix d’articles classés qui reflète les thèmes que nous abordons: des réexamens critiques de restaurations, établis à partir des dossiers scientifiques des musées,  des études sur les techniques picturales anciennes, des analyses et des propositions sur la déontologie et les pratiques de la restauration.</span></p> <p><span style="color: #865b04;">   Le moteur de recherche du site facilitera votre consultation suivant vos centres d’intérêt.</span></p> <span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><br /></span></p><hr align="center" width="100%" color: #222222="color: #222222" size="1px"></p> <p><span style="color: #865b04;">   Ce site propose une nouvelle présentation du débat sur la conservation et la restauration des peintures, engagé par notre association depuis 1992, tel que nous l'avons développé dans notre revue <em>Nuances</em>.</span></p> <p><span style="color: #865b04;">   Les contributions qu'y ont apporté, au fil des années, des historiens, des peintres, des scientifiques, des restaurateurs n’étaient plus aisément disponibles : on pourra ici les (re)découvrir et (re)considérer nos positions comme nos propositions.</span></p> <p><span style="color: #865b04;">   En plus des numéros de <em>Nuances</em> (depuis 1999) intégralement téléchargeables en PDF, nous proposons un choix d’articles classés qui reflète les thèmes que nous abordons: des réexamens critiques de restaurations, établis à partir des dossiers scientifiques des musées,  des études sur les techniques picturales anciennes, des analyses et des propositions sur la déontologie et les pratiques de la restauration.</span></p> <p><span style="color: #865b04;">   Le moteur de recherche du site facilitera votre consultation suivant vos centres d’intérêt.</span></p> <span class="Apple-style-span" style="font-weight: normal;" mce_style="font-weight: normal;"><br /></span></p><hr align="center" width="100%" color: #222222="color: #222222" size="1px"></p>